Coronavirus : Les étudiants haïtiens en République Dominicaine livrés à eux-mêmes

Temps de lecture : 5 minutes

Dernière mise à jour : 17 avril 2020 à 15h18

Les étudiants haïtiens en République dominicaine sont de plus en plus préoccupés par la propagation du virus. Laissés sans aucune assistance de la part des autorités, ils se considèrent comme des brebis sans bergers. Ils confrontent des difficultés majeures notamment économique et psychologique face à l’épidémie.

« Notre plus grand problème, c’est de ne pas pouvoir nous procurer de l’argent. Recevoir un transfert d’argent de nos parents n’est pas facile parce que le monde entier est bloqué. Les services de transfert sont quasiment inaccessibles », lance FritzBert Augustin d’une voix tremblotante au bout du fil. Qui pis est : « Nous devons payer le loyer, assurer les frais d’électricité et aller faire les courses pour ne pas crever de faim. On n’a même pas assez d’argent pour l’eau potable. »

FritzBert a laissé Haïti depuis deux ans pour aller effectuer ses études universitaires en terre voisine. Ses parents, originaires de Gros-Morne, dans le souci de lui offrir une meilleure vie universitaire l’ont envoyé en République dominicaine. Etudiant à Universidad Tecnologica de Santiago (UTESA), FritzBert se sent de plus en plus délaissé et veut tirer la sonnette d’alarme. « Que l’Etat haïtien trouve un moyen de nous prendre en charge, surtout de répondre à nos besoins primaires ou nous favoriser un moyen nous permettant de retourner chez nous ».

En ce qui a trait à la contamination du Covid-19 Fritzbert est jusqu’à présent épargné. « Je suis à Santiago. J’habite au numéro 1 de la rue La Fuente. Je ne cours aucun risque car dans la zone, on respecte toutes les mesures préventives et aucun cas de personnes testées positives n’y est encore révélé », confie l’étudiant en médecine qui se dit avoir la trouille.

« C’est extrêmement difficile les moments que je fais face actuellement », pense Rose Mika Charles. Elle a 23 ans. Tout comme Fritzbert, elle est étudiante en 3ème année de Médecine à Universidad Tecnologica de Santiago (UTESA). Son père qui vit aux Etats-Unis d’Amérique est sa principale source financière. Il se trouve dans l’impossibilité de lui envoyer à temps de l’argent. « Les dates de nos rendez-vous ne sont plus respectées, bien qu’il m’avoue que c’est toujours hors de sa volonté. Le peu qu’il arrive à envoyer ne peut pas subvenir à mes besoins. Cela empire la situation », confie-t-elle.

A cela s’ajoute la pression de son statut de locataire. « J’aurais dû acquitter la dette envers le propriétaire depuis le 4 avril dernier. Jusqu’à présent je ne peux pas. Sa patience semble arrivée à son terme car il m’exige de le faire sous peu pour éviter qu’une mauvaise scène se produise entre nous. La situation à laquelle nous (les autres étudiants et moi) nous retrouvons lui importe peu », affirme celle qui veut coûte que coûte rejoindre sa mère et son petit frère en Haïti. « Si j’avais la possibilité, je serais déjà avec ma famille. J’en ai vraiment marre de toutes ces péripéties », confirme Rose Mika Charles.

Covid-19, pour eux, un choc psychologique sans précédent

« Économiquement, ça peut aller », lance Eden Brutus. « Je me sens menacé et vulnérable, quoique dans mon quartier, on n’a pas encore recensé de cas positif au Covid-19 » Du haut de ses 23 ans, c’est pour la première fois qu’il se retrouve, dit-il, dans un état de choc pareil. L’originaire de la commune de Croix-des-Bouquets vit actuellement en Républicaine Dominicaine, dans la ville de Santiago en compagnie d’un cousin et un de ses oncles. « Le pire, ce sont mes parents en Haïti qui m’exhortent à la prudence à chaque fois qu’on se parle. », confie l’ainé d’une famille de trois enfants.

Catherine Marcelin* est, quant à elle, étudiante en Administration des Entreprises à l’Universidad Autónoma de Santo Domingo (UASD). Comme tous les autres étudiants, elle se trouve confinée avec son cousin Max Bertrand*. « Nous avons de quoi pour survivre. Mais aller faire les courses demeure compliqué car le risque est trop énorme malgré les mesures imposées par les autorités sanitaires », lance-t-elle. « Nous informer du nombre de cas testés positifs et de morts, connaissant que nous sommes et serions bien négligés en cas de contraction du virus, fait planer une peur atroce sur nous », affirme Catherine*.

Un sentiment d’insécurité atroce

« Nous n’étions pas en sécurité et maintenant ça dégénère. Les voleurs profitent de cette période pour nous envahir. Ce pourquoi nous restons plus vigilants durant le confinement. Ils savent pertinemment où se trouvent les étrangers et sont conscients que nous n’avons pas assez d’opportunité pour les poursuivre en justice même en cas de flagrant délit », résume Wilnick Emetil, étudiant en Administration des Entreprises à l’UTESA. « Nous n’espérons pas que l’un des nôtres contracte le virus car par manque de respect, c’est un fait, nous ne recevrons pas de soins adéquats pour survivre », s’inquiète-t-il.

« On est obligé de sortir, fréquenter les espaces publics malgré les interdictions. Moi personnellement, je me rends dans des maisons de transferts pour récupérer de l’argent que m’envoient mes parents. Je cours ce même risque en allant faire des emplettes dans les Colmado (boutique) », se plaint Ronaldo Charlumeau, étudiant en Génie Industriel à l’UTESA.

Ronaldo s’en prend au consulat haïtien qui se trouve là-bas. « Nous avons un consulat nul en terme d’action concrète. Il nous est presque d’aucune utilité. Depuis la fermeture du pays, il a sorti une note stipulant que ses portes sont fermées jusqu’à nouvel ordre. On est livrés à nous-même », argue Ronaldo Charlumeau.

Des parents inquiets pour leurs enfants

Il est 2h 45 environ. Dans la commune de Liancourt, la vie grouille. Pas comme à l’ordinaire. Peu de gens dans la grand-rue de cette commune voisine de Verrettes mais le nombre de gens défile dare-dare. La distanciation sociale et/ou physique demeure une utopie. Un staff de jeunes garçons se réunit sous la galerie de la boutique où vend Celia Beauzile. « Je me réveille presque chaque jour avec la tête lourde. Je n’arrive pas à me débarasser de cette migraine. Le soir, j’ai dû mal à fermer les paupières tant que je pense à ma fille Nancy », avoue la sexagénaire dont sa fille étudie depuis 2016 en République Dominicaine. « A chaque fois qu’on a l’occasion de se parler, elle me rassure en me disant qu’elle n’est pas trop exposée au virus mais l’augmentation des cas l’inquiète beaucoup », plaint-elle. « L’Etat haïtien ne se préoccupe pas de ces étudiants en terre voisine. En fin de compte, on n’a que Dieu pour voler à notre secours », lance-t-elle sur un ton désespéré.

Certains parents veulent à tout prix rapatrier leurs enfants. Pour ce faire, ils ont déjà essayé vainement beaucoup de tentatives. Les quelques options qu’ils arrivent à trouver pour leur permettre de laisser le pays de Danilo Medina s’avèrent tellement onéreuses qu’ils ne peuvent s’y résoudre. Les chiffres révélés par les autorités dominicaines augmentent leur inquiétude.

« Je voudrais qu’il rentre en Haïti même si je n’apprécie pas vraiment la trajectoire possible parce qu’elle se fait dans l’illégalité », souhaite Daverna Mondésir, mère de 3 enfants dont l’ainé se retrouve actuellement à Santiago. Cette femme qui travaille au Laboratoire de l’Hôpital Albert Schweitzer se dit inquiète pour son fils vu le nombre de cas de décès qu’enregistre par jour la République Dominicaine.

Alors que le Covid-19 continue à étendre ses tentacules en République dominicaine, l’Etat haïtien active son silence de cimetière sur le sort des citoyens s’y retrouvant. Alors à quel saint ces derniers devraient-ils se vouer ?

(*) : Ce sont des noms d’emprunts.

Billy Doré

À propos Billy Doré

Billy Doré est journaliste à Balistrad. Il est étudiant mémorand en Sciences Politiques et étudiant en Sociologie à l'Université d'État d'Haïti.
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