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Covid-Organics: de Madagascar à Haïti, politique et science ne font pas bon ménage

Temps de lecture : 4 minutes

Le 19 mai 2020, le président haïtien Jovenel Moïse et son homologue malgache Andry Rajoelina se sont entendus sur l’importation au pays de la tisane embouteillée appelée « Covid-Organics ».

À base d’artemisia, ce breuvage se présente comme le fer de lance dans la lutte préventive et même curative contre la Covid-19. Moi, grand buveur de thé de « choublak » à la moindre grippe, j’en suis resté tout à la fois curieux et interloqué.

D’abord je fus curieux d’informations… En visioconférence, M. Moïse comble d’éloges M. Rajoelina sur « la mise en valeur de la pharmacopée africaine en imposant la vertu de nos plantes médicinales »¹. Le président malgache, jouissant visiblement d’une toute nouvelle renommée internationale grâce à cette boisson quasi-miraculeuse, confirme la prétention préventive et curative du médicament.

Puis je fus interloqué sur l’absence de données scientifiques… Les deux présidents offrent un tableau attrayant d’une future collaboration scientifique des deux pays, du rapprochement de nations-sœurs, de la relation Afrique-Caraïbes, de la coopération Sud-Sud et du potentiel triomphe de la médecine traditionnelle africaine.
Comment ne pas m’en réjouir, moi qui suis si attaché à la Mère-Afrique et à la promotion de nos savoirs locaux et de nos ressources nationales ?

Néanmoins, c’est cette si belle vision que vient déranger l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans une mise en garde contre le Covid-Organics et invitant à l’attente de la publication de tests scientifiques rigoureux.² Car, selon elle, l’efficacité spécifique contre la Covid-19 n’a pas encore été établie dans aucune étude scientifique publiée.

En effet, il est de reconnaitre la justesse des mises en garde de l’OMS dans les balises scientifiques qu’elle recommande. Dans le siècle où nous vivons, les nouveaux médicaments doivent être soumis à des études médicales, pharmaceutiques et toxicologiques pour découvrir leur efficacité, leurs effets secondaires, néfastes ou indésirables.

Les Africains méritent les mêmes standards scientifiques comme tous les citoyens du monde, déclare avec pertinence l’OMS. Et sur ce point, il ne peut y avoir d’exception. Ce n’est nullement une opposition de la médecine traditionnelle à la médecine occidentale, mais plutôt un ralliement des deux. Que les médicaments soient fabriqués en laboratoire ou proviennent de pratiques traditionnelles ou naturelles, l’efficacité doit être démontrée, testée, questionnée, prouvée, vérifiée à travers des tests cliniques méticuleux.

Cependant, il est adéquat également de préciser que M. Rajoelina a pris soin d’informer son peuple le 24 mars 2020 que le Covid-Organics est dit-il : « un remède qui pourrait – au conditionnel, car on doit encore le prouver – guérir le coronavirus. » Les recherches scientifiques sur ce médicament se poursuivent dans son pays.

À ce bémol judicieux, il ajouta assurément avec une pointe de fierté : « Madagascar pourrait ainsi changer le cours de l’histoire. » Également prudent, le directeur du Centre de prévention des maladies au Gabon, John Nkengason déclare sur la même lignée : « Nous serions très fiers si une solution à cette guerre contre la Covid-19 venait d’un pays africain, mais nous nous devons d’être méthodique avant d’approuver ce remède. »³ Ceci dit, pour tenter de convaincre, la méthode scientifique est à l’opposé d’une démonstration présidentielle publique de la prise du médicament comme le conçoit le président malgache.

Quand dans une conférence de presse dans son pays le 20 avril 2020, M. Rajoelina promeut le Covid-Organics en buvant une bonne rasade pour rassurer la population de la sureté de cette boisson, cela n’équivaut pas à un seing-blanc scientifique pour une consommation massive.

Cette démonstration utilise un podium politique pour peut-être exposer des convictions personnelles ou entamer une propagande nationale et internationale, nonobstant que le président malgache puisse être de bonne foi.

Cela s’applique tout aussi bien au Président Trump qui contre vents et marées de toutes recherches scientifiques croit dur comme fer dans les vertus de l’hydroxycloroquine, quitte à le prendre lui-même quotidiennement à ses risques et périls. (5) Croire sans base scientifique dans l’effet d’un médicament quel qu’il soit est une prérogative de tout individu, comme moi buvant mon thé de « choublak », mais le promouvoir politiquement par un président est dangereux pour une population.

La publicité politique d’un traitement préventif de l’hydroxycloroquine faite par M. Trump a plausiblement incité certains à l’automédication : un Américain est mort en mars 2020 après avoir ingéré une forme de chloroquine présente dans un produit utilisé pour nettoyer les aquariums. Durant la même période, deux Nigériens ont été hospitalisés en urgence après avoir absorbé le même médicament (4). Similairement, quoique exporté dans plusieurs pays africains, ne pas évaluer scientifiquement le Covid-Organics et l’offrir tous azimuts à une population est éthiquement troublant, moralement questionnable, médicalement condamnable. Et dans cette optique, les présidents Rajoelina et Moïse ont tort.

Qui des deux présidents acceptera volontiers la responsabilité des effets potentiellement négatifs du médicament quand tous les ingrédients qui le composent ne sont pas internationalement connus et gardé jalousement par le Madagascar ? Face à la Covid-19 qui ravage le monde, si le Covid-Organics se révèle être une cure efficace, ne devrait-il pas devenir un bien commun de l’humanité à partager généreusement dans sa composition et sa production ?

Madagascar en tirerait une gloire et un rayonnement international justifié. Le président Moïse, lui, a raison de prôner une étroite relation des comités scientifiques des deux pays sur ce médicament. Toutefois, il serait déraisonnable que son gouvernement le vende ou le distribue gratuitement à la population. Ceci pourrait éventuellement être interprété comme une expérimentation sur des cobayes humains ou une épreuve médicale irresponsable de: « an pran chans nou, sa k rive rive ! ».

Patrick André

Références
1) Lenouvelliste.com : « Madagascar va envoyer le Covid-Organics en Haïti pour lutter contre le coronavirus. » – 19 mai 2020
2) Jeuneafrique.com : « Coronavirus : à Madagascar, enquête sur le remède miracle évoqué par Andry Rajoelina » – 19 avril 2020
3) Medicalexpress.com ; « Madagascar’s « green gold” against COVID-19 seeks nod beyond Africa” – 21 may 2020
4) Rtbf.be : « Chloroquine, hydroxychloroquine et Covid-19 : où en est-on ? » – 27 mars 2020
5) Cnn.com : « Trump says he is taking hydroxychloroquine tough health experts question its effectiveness” – 19 mai 2020

À propos Patrick André

Je suis Patrick André, l’exemple vivant d’un paradoxe en pleine mutation. Je vis en dehors d’Haïti mais chaque nuit Haïti vit passionnément dans mes rêves. Je concilie souvent science et spiritualité, allie traditions et avant-gardisme, fusionne le terroir à sa diaspora, visionne un avenir prometteur sur les chiffons de notre histoire. Des études accomplies en biologie, psychologie et sciences de l’infirmerie, je flirte intellectuellement avec la politique, la sociologie et la philosophie mais réprouve les préjugés de l’élitisme intellectuel. Comme la chenille qui devient papillon, je m’applique à me métamorphoser en bloggeur, journaliste freelance et écrivain à temps partiel pour voleter sur tous les sujets qui me chatouillent.
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