Dans la matinée du mercredi 28 juillet 1915, les Marines américains ont débarqué près de Port-au-Prince, commençant une occupation militaire brutale de 19 ans de la première république noire qui a laissé de profondes cicatrices sur la population et la psyché haïtiennes.

L’occupation américaine d’Haïti: plus d’un siècle plus tard, où en sommes-nous ?

Temps de lecture : 4 minutes

Dernière mise à jour : 1 août 2020 à 11h27

Quel bilan ?

Cette interrogation est directement tirée du livre de Rubens Cadet sur l’occupation américaine d’Haïti. L’auteur veut dresser le bilan de l’impérialisme américain au niveau juridique et politique, économique et financier, culturel et technique. 105 ans plus tard, les conséquences sont palpables et influencent directement la vie de chaque haïtien quelles que soient la position et la classe de ce dernier. Les mouvements de revendications socio-politiques et économiques indexent également les États-Unis d’Amérique à un point tel que les sit-in s’organisent assez souvent en face des locaux de l’Ambassade américaine à Tabarre.

Face à cette ébullition, un devoir de mémoire s’impose. L’intérêt sera porté sur les antécédents de l’occupation américaine, les faits qui l’ont marquée et les conséquences du géant du nord qui considère Haïti comme un endroit stratégique de la Caraïbes, d’où la justification de sa permanente ingérence.

Rappel des faits

Georges Eddy Lucien dans son ouvrage « le Nord-est d’Haïti, la perle d’un monde fini (entre illusion et réalité) » montre que toute initiative prise par un État occidental a derrière elle des intérêts économiques et financiers bien définis. De l’esclavagisme à la mondialisation/globalisation actuelle, tout a été d’abord intérêt économique. Le rôle de l’esclavage était d’enrichir les pays colonialistes. Les structures politiques, juridiques et culturelles s’assuraient d’appuyer la superstructure économique découlant du système de l’exclusif (tout par et pour la métropole). Ainsi, après la saison des abolitions de l’esclavage, un colonialisme financier s’est mis en place pour assurer la continuité de l’exploitation. Les accords de Bretton Woods, les Pactes d’ajustement structurels qui caractérisent la mondialisation actuelle agissent dans le même sens. Ce sont seulement les acteurs qui ont changé de nom ou de place.

Le colonialisme était d’abord espagnol, puis français, anglais et allemand grâce aux pouvoirs financiers que leur conféraient leurs banques. Ils pouvaient contrôler l’économie et la finance des pays nouvellement indépendants.

De cette action provient ce que Romain Cruse appelle les dettes souveraines. Fort de son expérience cubaine, les États-Unis d’Amérique ont initié une domination sur la Caraïbes dont les États ont payé le prix fort. A la percée du canal de Panama, la région fut transformée en zone stratégique où les américains s’évertuent à chasser un à un les colonialistes européens occupés par la première guerre mondiale. C’est au cours de cette période où les réclamations pour le contrôle des douanes furent activées. Les États-Unis profitèrent de l’occasion qui leur était offerte par le lynchage du président Vilbrun Guillaume SAM pour envahir militairement le pays en 1915, occupation qui durera jusqu’en 1934. Le paysage haïtien changea définitivement.

Conséquences de l’occupation américaine

Les conséquences sont multiples. Elle furent d’abord économiques. Avec l’occupation, l’économie haïtienne qui était orientée vers l’Europe fut réorientée vers les États-Unis. Avec les ressortissants syro-libanais, le géant du Nord avait sur le terrain des antennes afin de déverser sur le territoire haïtien les produits américains. Ayant acquis la nationalité américaine, ils jouissent de la protection de l’Etat américain.

La finance suivit le train de l’économie. Les États-Unis d’Amérique ont racheté la dette qu’Haïti avait contractée auprès des banques françaises. Aucune transaction ne devait être effectuée sans leur aval. La National City Bank avait pris le relais des banques françaises.

La migration également fait partie des conséquences de l’occupation. Avant, les paysans ne voyageaient presque pas. L’expropriation de leurs propriétés et les vagues de répressions contre la résistance armée obligèrent les paysans à partir vers les plantations de sucres cubaines et dominicaines pour le compte des investisseurs américains.

Cependant, c’est sur le domaine politico-légal que le changement s’est fait le plus sentir. Certes, la société des baïonnettes n’était plus mais les chefs d’Etat haïtiens de l’occupation ont été nommés sous l’influence des États-Unis. La Convention qui légalise l’occupation fut votée par les deux chambres, et la Constitution de 1918 fut votée en octroyant le droit à la propriété aux étrangers.

Aussi, sur le plan culturel, le rêve américain commença à prendre pied en Haïti. La classe moyenne haïtienne actuelle fut une innovation de l’occupant. Le mode de vie américain, les séries, les films, la gastronomie américaine, et l’éducation surtout l’éducation à l’américaine face à la française. Selon Dantès Bellegarde, ce fut une lutte. L’idéologie américaine supplanta la française avec pour conséquence la perte de l’identité culturelle de l’élite haïtienne. Cette lutte se faisait contre la masse, ce qui ne fit qu’envenimer une lutte vieille depuis les années coloniales. Enfin, l’administration haïtienne se centralisa à Port-au-Prince alors que la corruption gangrena de plus en plus. Enfin, comment ne pas citer la dette écologique? La couverture forestière fut détruite pour l’exploitation du caoutchouc pour les efforts de guerre et la répression contre les révolutionnaires menés par Charlemagne Peralte et Benoît Batraville. Avec la désoccupation, ce processus organisé se chargea de consolider les intérêts américains en Haïti avec l’appui de l’armée chargée de veiller sur l’ordre américain.

Les États-Unis et Haïti aujourd’hui

Le 12 janvier 2010, le tarmac de l’aéroport Toussaint Louverture fut occupé par les militaires américains qui coordonnèrent l’aide humanitaire internationale. Les élections du président Martelly ont été organisées sous l’œil états-unien à un point où les experts ont eu un résultat parallèle au Conseil Électoral Provisoire de l’heure. Du haut de leur financement, ils ont imposé un résultat contraire aux aspirations du peuple haïtien selon Ginette Chérubin dans son livre « Le ventre pourri de la bête ». Ce même fait a été rapporté par Ricardo Seitenfus dans « L’échec de l’aide internationale en Haïti ».

La même main blanche a imposé au gouvernement haïtien un vote contre le Venezuela pour s’assurer que le président Jovenel Moïse reste au pouvoir, dans un moment où son illégitimité était criante.

Depuis 2016, les revendications se font sur deux fronts. D’un côté, contre le président et de l’autre contre la communauté internationale qui agit en Haïti par le biais du CORE Group, du BINUH. Néanmoins, la mémoire populaire haïtienne est belle et bien présente. A chaque date historique, le peuple haïtien sort clamer sa dignité face à ses détracteurs. Est-ce suffisant? L’importance du 28 juillet en Haiti peut-elle se limiter à un devoir de mémoire?

À propos Richecarde Celestin

Celestin Richecarde Juriste-Historien HumanRights Négritude Haïti
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