Crédit Photo : AFP / Hans Lucas

Pour l’éradication des actes de violence conjugale en Haïti

Temps de lecture : 6 minutes

Dernière mise à jour : 11 janvier 2021 à 19h35

« En ce début d’année, des cas de violences basées sur le genre ont déferlé la chronique. Balistrad vous propose le texte de sa rédactrice en chef, Vanessa Dalzon, figurant parmi les lauréat·e·s de la quatrième édition du concours de textes et de reportages sur les droits humains organisé par l’Office de la Protection du Citoyen (OPC). »

Cinq heures de l’après-midi. Paul n’allait pas tarder à rentrer, se disait Marie avec angoisse. Le repas n’était pas encore prêt. Miséricorde, miséricorde, répétait Marie inlassablement. Trouver la table vide à son arrivée était considéré par Paul comme un péché mortel pour lequel Marie, la fautive, aurait à payer de sa chair, quelques fois de son sang. Coups de poing, coups de pied, si le maître de maison estimait que sa femme avait quitté le droit chemin, il usait de ses membres pour la lui faire sentir. Paul et Marie étaient mariés depuis 10 ans. Et de cette décennie ponctuée de violences et de maltraitances en tout genre, Marie a connu deux fausses-couches, plusieurs séjours à l’hôpital et divers jours clouée au lit attendant que l’orage passe. Marie n’est pas un cas isolé, elle est plutôt un échantillon de cette catégorie de femmes connaissant les sévices de la violence conjugale tous les jours.

Des cas répandus

Dans un document rédigé par Avocat Sans Frontières Canada, Kay Fanm, Office de la protection du Citoyen en février 2019, « Les violences conjugales : parmi les femmes non célibataires”, 34 % déclarent avoir subi, à un moment donné, diverses formes de violences émotionnelles ou sexuelles, exercées par leurs maris ou partenaires. Les cas de violence conjugale sont assez répandus et connaissent, depuis des années, une hausse considérable en dépit des différentes actions menées par les associations féministes en particulier et les associations de droits humains de manière générale. Le fait que quelques femmes bénéficient d’une certaine notoriété ou sont des compagnes d’hommes connus ont consenti à faire connaitre leur situation a eu le mérite de mettre le sujet sous le feu des projecteurs. Cependant, le problème reste entier.

Un problème qui ne date pas d’hier

La violence conjugale est un acte au cours duquel un partenaire utilise la force ou la contrainte pour perpétuer et/ou promouvoir des relations hiérarchisées et de domination. Il peut prendre toutes les formes : verbales, physiques, psychologiques, économiques, sexuelles.

La violence conjugale est un problème récurrent en Haïti. A un moment, même le cadre normatif laissait le champ libre à certains actes de violence de l’époux sur l’épouse. L’ancien article 284 du Code Pénal excusait le meurtre commis par l’époux sur l’épouse ainsi que sur le complice ou l’un d’eux du moment qu’il les surprenait en flagrant délit dans la maison conjugale.

« En Haïti, la violence conjugale est souvent considérée comme normale”, selon Madame Marie Françoise Météllus, ancien membre du Bureau des questions de genre de la MINUSTAH. Selon Madame Météllus, en Haïti, “lorsqu’un homme frappe sa femme, on estime qu’il la punit d’avoir fait quelque chose”.

Les causes de la violence conjugale

Les causes de la violence conjugale peuvent être multiples. Parmi ces différents éléments, il existe quatre grands facteurs dominants :

1- La précarité économique des femmes subissant les sévices

La plupart des femmes victimes de violence conjugale dépendent économiquement de leurs bourreaux. Cette dépendance économique les contraint donc à subir les actes de violence sans pouvoir porter plainte ou encore rompre les relations avec leurs agresseurs.

Lorsque ces femmes sont mères, il est encore plus difficile pour elles de se retourner contre celui qui les maltraite de peur qu’il leur coupe les vivres. La situation économique en Haïti étant précaire, une femme sans emploi et sans ressources financières d’aucune sorte préfère certaines fois rester avec un homme qui la frappe ou l’agresse verbalement afin de trouver de quoi se nourrir et prendre soin de ses enfants.

2- L’influence de la religion

Le mari est le chef de la femme”, lit-on dans la Bible. Pour certains hommes d’Église, cette ordonnance prise de manière littérale implique quelque fois le droit de correction, de vie ou même de mort sur la femme qui doit être soumise à son mari. A cause de cette injonction de soumission, quelques femmes d’Église croient devoir subir les violences sans piper mot puisqu’il s’agit là d’un ordre biblique et divin.

La religion ayant une très grande place dans la société haïtienne — selon des statistiques sociodémographiques d’une étude réalisée en 2016-2017, 92.1% des Haïtiens âgés de 15 à 49 ans sont de confession catholique, protestante, témoin de Jéhovah ou vodouisant —, cela conduit donc à une normalisation des cas de violence pour les croyants faisant l’apologie de la place dominante de l’homme sur la femme.

3- Le système patriarcal

D’après le Larousse, le patriarcat est une forme d’organisation sociale dans laquelle l’homme exerce le pouvoir dans le domaine politique, économique, religieux ou détient le rôle dominant au sein de la famille par rapport à la femme.

Dans son discours prononcé lors de la Conférence Nelson Mandela en juillet 2020, le Secrétaire Général de l’ONU, Monsieur António Guterres, a présenté le patriarcat comme une grande source de l’inégalité dans le monde et figurant à la base des féminicides qui, d’ailleurs, atteignent un nombre assez élevé.

Ce système patriarcal faisant croire à l’homme qu’il a tous les pouvoirs lui confère également celui d’agir violemment contre sa femme ou sa compagne. Un modèle qui, certaines fois, se transmet de génération en génération.

Le patriarcat introduit le fait de frapper une femme presque comme un acte normal prouvant la virilité d’un homme. D’un autre côté, la société reste passive face aux cas de violence conjugale puisqu’elle cnsidère ce fait comme « normal”.

4-L’impunité

Dans le mémoire présenté à la Commission interarméricaine des Droits de l’homme en 2019, l’Office de la Protection du Citoyen et KAY FANM déclarent que la plupart du temps, les cas de violences faites aux femmes sont restées impunies. La plupart des plaintes n’aboutissent pas à un procès. Une étude menée par les Nations-Unies (MINUSTAH / HCHD) en 2012 a permis de conclure que très peu de plaintes aboutissent à des condamnations. Les chiffres suivants en témoignent:

  • 62 PLAINTES pour viol ont été déposées entre juin et août 2010 dans cinq diférents commissariats de police de Port-au-Prince;
  • 45 CAS SUR LES 62 furent déférés au parquet par la police;
  • Seulement 25 SUR LES 45 CAS déférés furent enregistrés par le greffe du parquet ;
  • Le parquet quant à lui n’a transmis que 11 AFFAIRES au juge d’instruction;
  • 4 CAS FURENT REJETÉS par le juge d’instruction et les sept affaires restantes étaient encore en attente au cabinet d’instruction. Aucun procès n’avait eu lieu pour ces affaires près de deux ans après le dépôt de la plainte.

Et les victimes subissent le calvaire d’un système judiciaire lent et souvent paralysé par les cas de grève et de protestations en tout genre. Pour celles qui portent plainte, elles ont à supporter un appareil judiciaire dont les acteurs n’ont pas les formations nécessaires pour accompagner les justiciables dans le processus. Ainsi, certaines victimes préfèrent donc garder le silence et n’empruntent pas le chemin de la justice.

Cadre juridique

Au cours des dernières années, Haïti a ratifié plusieurs traités internationaux faisant office de législation permettant aux femmes victimes de violences conjugales de trouver justice face à leurs compagnons ou maris. Citons la Convention de Belém Do Para pour la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (CDAW)…

Sur le plan national, il y a le Décret du 8 octobre 1982 permettant à la femme mariée de jouir d’autant de droits que de son mari pendant son mariage et le décret du 6 juillet 2005 modifiant le régime des agressions sexuelles. Même si ces avancées sont significatives sur le plan juridique, il reste néanmoins beaucoup à faire pour que les femmes victimes de violence conjugale puissent véritablement trouver justice.

Pour Me Nadège Joassaint, avocate inscrite au Barreau de Port-au-Prince, « même si nous avons des lois, celles-ci sont désuètes et inadaptées. Il convient donc de les mettre à jour afin de permettre qu’elles répondent à la réalité des victimes. »

Alternatives

Alors que les normes existent sur papier, les femmes continuent de vivre sous le joug d’hommes violents en subissant toutes sortes de maltraitances, il convient donc de prendre des mesures afin de permettre une application pleine et entière des lois et autres normes déjà promulguées, promouvoir et maintenir une politique d’égalité entre les sexes, assurer une liberté et une égalité économique entre les hommes et les femmes, punir les auteurs des actes de violence à l’égard de la femme.

Il importe à chacun, aux autorités ainsi qu’aux membres de la société civile de s’impliquer dans cette campagne de sensibilisation contre la violence conjugale en se rappelant qu’en Haïti, près de huit (8) femmes sur dix (10) sont victimes de violence conjugale et que quelques-uns de ces cas ont conduit la victime à la tombe.

Vanessa Dalzon

Références :
https://lenouvelliste.com/article/217652/
Ellessimaginent.fr
Sagine, Beauzile, « La législation haïtienne à l’épreuve de la violence conjugale, cas de la ville des Cayes 2008-2010 », mémoire en ligne, 2006
L’IMPUNITÉ DES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES EN HAÏTI , Mémoireprésenté à la Commission interaméricaine des droits de l’homme en date du 13 février 2019. Rédigé par : Avocatssans Frontières Canada, KAY Fun.org/press/fr/2020/sgsm20179.doc.htmANM et l’Officede la Protection du Citoyen
L’IMPUNITÉ DES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES EN HAÏTI , Mémoireprésenté à la Commission interaméricaine des droits de l’homme en date du 13 février 2019. Rédigé par : Avocatssans Frontières Canada, KAY Fun.org/press/fr/2020/sgsm20179.doc.htmANM et l’Officede la Protection du Citoyen
SOFA, une étude menée par une organisation internationale et la SOFA en 2002-La situation de la femme en Haïti au regard des instruments nationaux et internationaux, 2006.

Mis à jour le 11 janvier 2021 à 19h35

À propos Vanessa Dalzon

Vanessa Dalzon est Rédactrice en chef à Balistrad, diplômée en Droit à l'Université Quisqueya (UniQ). Elle est l'auteure du roman « Opération-Rupture », chronique publiée dans Balistrad pendant 22 semaines. Vanessa Dalzon partage son temps en dehors du bureau entre l’écriture, la lecture, le chant et les séries télé.
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