Review: La quérulence: Quand le droit et la psychiatrie se rencontrent

Temps de lecture : 6 minutes

Dernière mise à jour : 10 mai 2024 à 23h21

GUILLEMARD Sylvette et Benjamin Lévy, la Quérulence quand le droit et la psychiatrie se rencontrent, Québec, Presses de l’Université Laval, 2023, préface de Christian Brunelle, XVI-154 p.

Résultat d’une expertise en droit et en psychiatrie cet essai sur l’histoire de la quérulence processive s’approprie le sujet sur base de l’interprétation que font les tribunaux judiciaires notamment du phénomène d’engorgement, de harcèlement judiciaire. Il importe de signaler d’entrée de jeu que l’autrice est docteure en droit mais son co-auteur, n’est ni historien, ni psychiatre, et est plutôt formé à la psychopathologie et à la psychanalyse.

L’introduction semble assez loufoque quand elle évoque l’exemple d’une quérulente qui adresse des dizaines de correspondances au Curateur pour régler une affaire regardant la succession de sa mère. Puis un autre qui réclame modestement la propriété de quelques planètes du système solaire. Les quérulents sont des calamités pour les juges mais des cas d’école pour les psychiatres.

Après un détour par la doctrine allemande, citant les aliénistes, les auteurs relèvent la divergence de point de vue sur l’institution en crise et la quérulence processive. L’ouvrage cherche d’abord à décrire la genèse des catégories psychiatriques des plaideurs trop zélés et les plaignants déraisonnables.

La deuxième partie traite de la manière dont les différents ordres juridiques apportent une réponse aux plaignants pathologiques. Ils décrivent les solutions pour encadrer et limiter leur accès aux tribunaux et par la suite donne une approche clinique du trajet de vie de ces personnes.

La quérulence serait née deux fois, en Allemagne et en France où elle est considérée par la psychiatrie et dans les pays du common law où le discours juridique s’est approprié le phénomène. La quérulence fut considérée en Allemagne sous la houlette du délire des plaideurs sinon de plaintes infondées et illégales. Le caractère de la quérulence se mêle à celui du délire de grandeur et de persécution selon le psychiatre allemand Johann Ludwig Casper.

Parmi les postulats en vogue au sein de la psychiatrie allemande du XIXe siècle fut celle de considérer que les idées délirantes des plaideurs fous reposaient sur des faits réels : les supposés ennemis désireraient en fait les priver de certains droits sans avoir l’intention d’attenter à leur vie. Les avis vont aussi dans le sens de faire s’apparenter le délire de persécution à la surestime de soi.

Chez les aliénistes français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, c’est le délire de revendication et la quérulence processive qui sont mises de l’avant. Avec pertinence les auteurs rapportent la distinction qui fut faite entre les délirants de persécution et les aliénés persécuteurs. Ce couple de concepts fut ensuite supplanté par le délirant de revendication. Paranoïaques, délirants ou aliénés processifs sont les constructions syntagmatiques en vogue à l’époque. D’autres postulent qu’ils ont un caractère bizarre, un égoïsme féroce, un orgueil démesuré, une activité stérile et désordonnée ! La processivité pathologique côté Allemagne était représentée par l’individu désireux d’obtenir plus que sa part de droits de la part de l’Etat.

L’archétype hexagonal, selon Benjamin Pailhas, est l’agriculteur qui lutte contre une menace d’expropriétation. Est-il opportun de parler d’un délire raisonnant de dépossession plutôt que de simple situation anxiogène liée à une situation de vie de dépossession ? Au- délà de ces tentatives de description des pathologies, certains psychiatres s’intéressent à la personnalité des quérulents indiquant par exemple que la processivité pathologique résulte de l’incapacité à complètement abréagir les réponses affectives à des déceptions (Julius Raeke).

L’un des psychiatres qui s’est intéressé à la quérulence en a dressé un typologie remarquable. Heinz Dietrich parle de quérulence légale, professionnelle, carcérale, sociale, etc. Cette typologie est pour le moins originale et permet de constater que le phénomène ne se limite pas à la sphère du légal. En outre il existerait aussi une processivité normale (névrotique, réactive) et une processivité pathologique (chronique et psychopathique). Les auteurs n’expliquent pas à partir de quant les limites de la processivité normale sont dépassées par l’effracteur pour faire basculter la victime dans la processivité pathologique.

Les auteurs rapportent que c’est en Allemagne que la question de la quérulence a été le plus étudié.

Dans les pays du Common law, le portrait des plaignants compulsifs est peu flatteur et tant aux Etats-Unis qu’en Grande-Bretagne des listes sont établies pour bannir des tribunaux ces personnalités belliqueuses. Les auteurs affirment que stigmatiser ou psychiatriser les membres de cette tribu s’oppose à tout un ensemble de valeurs endémiques. En Grande-Bretagne la solution juridique a été trouvé pour les Vexatious Actions Acts. Dans les pays de Common law la notion de Vexatious litigeant prime sur les notions de délire de persécution et sur le concept psychiatrique de quérulence. Les auteurs anti-psychiatriques, critiques, sont peu cités (cf. Martin Thomas, p. 31).

Néanmoins psychiatres et juristes s’accordent pour affirmer que l’on ne peut expliquer les cas des Vexatious litigant en terme de paranoïa quérulente. Mais, poursuivent-ils, on a indiqué que des recherches plus poussées soient faites pour trouver des traitements plus efficaces. Les auteurs font aussi un bref survol des dispositions contenues dans le Code de procédure civile (Québec) et dans la Loi sur l’accès à l’information du Québec.

À plusieurs endroits ces personnes sont qualifiées d’acariatres, d’entêtées, etc. Il aurait été opportun il me semble de montrer l’autre facette de la médaille, la victimisation multiple dont elles peuvent être l’objet d’une part, et, d’autre part, le fait que des personnes abusent de leur droits en réglant en dehors de la justice leurs comptes par des bousculades, des insultes, les intimidations, brefs des violences verbales, qui vont parfois jusqu’à l’homicide. Si la psychiatrie jugent que ces victimes sont à la fois délirantes lorsqu’elles recourent à la justice pour dire droit, ou lorsqu’elles se plaignent de complots imaginaires, on ressent bien ici le malaise devant pareille situation. Fait intéressant le profil du quérulent n’est pas seulement l’individu pathologisable ou déraisonnable dans ses démarches, en marge, etc. Certains sont avocats et intentent des recours multiples à la CEDH. (p. 45, p. 81).

Justiciable insatisfait, plaideur vexatoire, conspirationiste, abusive litigants, paranoïaque, plaideur processionnel ou quérulent, revendicateur fou voilà tout autant d’étiquettes qu’utilisent les auteurs pour dénoncer ce qu’ils estiment être un fléau des temps modernes, en recrudescance dans certains provinces comme l’Alberta. Les auteurs auraient eu intérêt à commenter les relations avocats/justiciables, la déontologie des avocats, lorsqu’il s’agit par exemple d’expliquer quelles sont les causes qui justifient qu’un justiciable s’autoreprésente, qu’elles sont ensuite les différentes attitudes qui peuvent déplaire aux plaideurs abusifs et qui le conduisent à être comme ils sont…parce que le système a des priorités ! Ils les distingue des grincheux professionnels ou des procéduriers opportunistes.

Les énoncés où les auteurs constatent par exemple que la personne quérulente peut parfois avoir des bonnes raisons de s’adresser au système de justice (p. 97) sont plutôt rares. Certes le portrait des plaideurs quérulents et abusifs est très documenté, mais il omet de voir en quoi les lacunes du système, par exemple dans l’accueil des immigrants. Les auteurs proposent des désignations d’avocat commis d’office afin que l’avocat puisse jeter un regard sur la pertinence d’un recours, puis ils suggèrent aussi la tenue de procès fictifs pour laisser aux quérulents la possibilité de s’exprimer.

C’est en fait à la partie 3 que les auteurs s’intéressent aux trajets de vie singuliers des quérulents. Les auteurs attirent l’attention sur un point pertinent en affirmant que les magistrats sont parfois perçus comme des figures salvatrices. Pureté d’intention, blessures, ralliement des pairs à leur cause sont des symptomes du quérulent, tous vus encore une fois comme négatifs. Or ces fonctionnements ne sont en rien propres au quérulent mais se retrouvent aussi dans toute les familles politiques, les réseaux de solidarité pour une cause, dans les villages, etc. et surtout en dehors de la justice. Les auteurs en vont à donner l’exemple du quérulent justicier qui dans les faits est celui qui se fait justice en dehors des tribunaux (p 109).

L’analyse de la personnalité du quérulent se veut ici axée sur les dimensions psychologiques, expliquant la transition entre le désir de revanche au désespoir. Ce qui manque à cet ouvrage très documenté à partir du point de vue institutionnel c’est d’analyser en quoi les différents acteurs du système qui font partie de la chaîne pénale, juridique ou diagnostique ne seraient-ils pas à l’origine, en fonction du profil du justiciable, du développement de la quérulence, si tel avait été le cas, en prenant comme exemple le problème de la déontologie, de la stigmatisation et de la communication entre les différents palliers de la chaine juridique et diagnostic. Ainsi il s’agit bel et bien d’une dépréciation du justiciable, dans bien des cas on peut supposer que cela est vrai mais dans d’autres cas, qui sont moins étayés par des exemples, le système aurait pu être mis à mal.

Les auteurs s’intéressent aux victimes du quérulent un tant soit peu certes mais condamne en bloc le quérulent à tel point que l’on peu se demander si les erreurs ne sont pas partagées, qu’il ne faudrait pas plutôt parler dans certains cas d’une absence de légitimité dans le stystème judiciaire. Difficile de traiter de la quérulence sans s’intéresser avec la même verve aux erreurs judiciaires, à la corruption, parfois elle-même dénoncée par les juges.

Si pendant presque tout l’ouvrage les auteurs s’en donnent à coeur joie pour donner une vision somme toute négative du quérulent vu du point de vue de l’industrie judiciaire et de la pscyhiatrie qui lui est corrélaire, leur regard sur la magistrature passe par le biais de classiques de la littérature française, que ce soit La Fontaine, Bossuet par exemple etc. Ils évoquent les procureurs corrompus, les juges incompétents, les avocats véreux; montrant la richesse syntagmatologique que génére la perception des acteurs de la justice. Cette partie de l’ouvrage s’appuie sur un corpus français réduisant la dimension internationale de l’essai.

Jean-Nicolas De Surmont

Mis à jour le 10 mai 2024 à 23h21
Publié le 27 avril 2024 à 20h08

À propos Jean-Nicolas De Surmont

Jean Nicolas De Surmont est chercheur autonome. Il s'intéresse notamment à la métalexicographie, et à la poésie vocale québécoise. Descendant d’une famille politique de Québec, diplômé de l’Université Laval, il a obtenu un doctorat à Paris-X Nanterre et un post-doctorat à l’Université Catholique de Louvain. Il a enseigné le FLE à Barcelone, puis a poursuivit sa carrière d’enseignant à l’Université de Nancy, puis à Metz. Parallèlement il est intervenu dans de nombreux congrès et conférences dans plusieurs pays. Il animé des émissions dans des radios associatives au Québec et en France. Chercheur à l’Université Catholique de Louvain, puis conseiller scientifique à l’Université Libre de Bruxelles, il poursuit depuis son travail de chercheur et consultant dans différentes disciplines. Il est depuis 2017 secrétaire-trésorier de l’ASBL La Porte Dorée. Il est l'auteur de quelques centaines d'articles et comptes-rendus publiés dans une quarantaine de pays et de huit livres publiés dont deux ouvrages collectifs et une traduction. Son livre Vers une théorie des objets-chansons a fait l’objet d’une traduction en anglais et fait référence dans l’étude de la chanson. Il prépare en ce moment un ouvrage collectif sur la rousseur.
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