Photo : AFP / Hector RETAMAL

Haïti sous l’emprise des gangs : flambée des prix du transport en commun

Temps de lecture : 5 minutes

Dernière mise à jour : 11 novembre 2022 à 15h03

Martissant, Croix-des-Bouquets, Canaan, Cité-Soleil, Plaine du Cul-de-Sac, Torcel, Pernier. Ce sont autant de quartiers que des groupes civils armés ont pris en otage en Haïti. Alors que depuis quelque temps, les usagers de Martissant doivent penser à d’autres options pour gagner le Sud du pays, certains quartiers de Port-au-Prince commencent par suivre l’exemple en empêchant le fonctionnement normal du transport public et privé dans certains artères de la Capitale. 

Les chauffeurs du transport public tentent les sentiers détournés pour continuer à travailler et permettre aux passagers de vaquer à leurs activités mais les raccourcis ont un prix, que souvent, les passagers peinent à payer.

7h30 du matin. Des dizaines de personnes attendent à la station de Clercine, en face du bâtiment de la Brigade d’Intervention Motorisée (BIM), qu’un bus veuille bien effectuer le trajet Clercine/Route de Frères. Ecoliers, employés s’impatientent à l’idée d’arriver en retard à leur destination. Dix, quinze, vingt minutes s’écoulent, aucun bus en vue. Depuis des semaines, la route de Torcel étant impraticable, les bus faisant le trajet Clercine/Route de Frères doivent revoir leur itinéraire au grand dam des passagers. Lorsque le premier bus arrive enfin, le chauffeur annonce d’entrée de jeu que le prix de la course a augmenté. De 35 gourdes, il en est passé à 50 puis le lendemain à 75. Quelques jours plus tard, il ira jusqu’à 125 gourdes. Dès lors, le nombre de passagers pressés de retrouver un bus se réduit. Les gens qui se précipitaient vers la porte reculent. Il faut un temps pour refaire ses calculs et voir si ce qu’on a en poche tiendra à l’aller et au retour.

Le moment de surprise…

« Si vous n’avez pas les 75 gourdes, ne montez pas », criaient les chauffeurs, inflexibles.

« Je suis sortie de chez moi avec seulement 75 gourdes », se lamente une jeune femme debout à la station près des chauffeurs qui n’ont manifesté aucune pitié.

« Je croyais que cela suffirait largement à m’emmener au travail et me ramener mais je suis tombée des nues », poursuit-elle. Auprès d’elle, plusieurs autres personnes se plaignent également. « Je suis obligée de mendier des faveurs, suppliant les chauffeurs de me prendre au rabais », explique un jeune écolier. Une fois le bus rempli, les transporteurs se font invectiver et traiter de tous les noms aussitôt qu’ils réclamaient le prix de la course. « Nous n’avons pas le choix », se justifient-ils. « Nous payons également le prix de l’insécurité, nous prenons les raccourcis à nos risques et périls sachant qu’à n’importe quel moment, les bandits peuvent nous atteindre », expliquent-ils. « En plus, les routes qu’on emprunte désormais avec nos voitures sont en terre battue et en mauvais état, et donc les voitures sont constamment en réparation. C’est un autre coût à prévoir », répondent-ils pour se défendre, ce qui entraine de grosses disputes quelques fois entre chauffeurs et passagers.

Pénurie de carburant à cause de l’insécurité

En dehors des tronçons de route occupés par les bandits, les chauffeurs et usagers de la voie publique font face à un autre problème : l’indisponibilité du carburant. En juin 2021, le pays a fait face à une énième pénurie de carburant due à l’affrontement entre gangs armés à Martissant, entrée sud de Port-au-Prince. Pendant plusieurs mois de l’année dernière, les camions-citernes n’ont pas pu s’approvisionner dans les terminaux de Thor et de Tristar à Martissant. Ce qui a occasionné une augmentation considérable des prix des courses.

« Quand on achète un gallon d’essence entre les mains d’un commerçant dans la rue à 1000 ou 1500 gourdes, forcément on est obligé d’augmenter les prix des courses », se défend Onelson, chauffeur de moto à Port-au-Prince.

Selon Méhu Changeux, président de l’Association des propriétaires et chauffeurs haïtiens (APCH), répondant aux questions du Nouvelliste, les syndicalistes des transports en commun n’encouragent pas cette augmentation des prix des courses, mais ils comprennent également que les chauffeurs n’ont pas le choix vu la situation et les difficultés à trouver du carburant.

« Avant 2019, le circuit Bon-Repos/Arcahaie était à 35 gourdes. Depuis 2019, à chaque pénurie de carburant, on y ajoute quelque chose. Aujourd’hui, il est à 300 gourdes », raconte Dieumala, commerçante habitant à Bon-Repos.  « Le plus dur, c’est que lorsque l’essence est disponible, les chauffeurs ne vont pas revenir au prix initial, ils maintiennent le prix de la course à la hausse au détriment des passagers », se désole-t-elle.

Entre juin et octobre 2022, au lieu de s’améliorer, la situation a empiré. En juillet 2022, c’était les gangs de Cité-Soleil qui, cette fois, s’affrontaient. Outre les morts par balles, la crise alimentaire et humanitaire, cet énième affrontement a amené avec lui une nouvelle pénurie de carburant. Impossibilité pour les camions-citernes de s’approvisionner à Varreux, terminal de Cité-Soleil. Encore une autre montée des prix pour les passagers.

Flambée des prix, aucune augmentation de salaire. Jusqu’au 9 novembre 2022, il fallait 128,90 gourdes pour 1 dollar américain, selon la Banque de la République d’Haïti (BRH). En Haïti, la hausse du dollar occasionne également l’augmentation de tout autre produit. Dans une adresse à la nation le mercredi 20 juillet 2022, le premier ministre haïtien, Ariel Henry, annonçait d’ailleurs une “augmentation progressive” des prix des produits pétroliers dans le pays, afin que le gouvernement puisse continuer à importer le carburant. Si les prix des produits pétroliers vont augmenter, les revenus des habitants, quant à eux, n’augmentent pas. Depuis le lundi 21 février 2022, le salaire minimum en Haïti varie entre 350 et 770 gourdes. Des ouvriers avaient gagné les rues pour demander une augmentation du salaire minimum à 1500 gourdes. Jusqu’ici, leur demande n’a pas été agréée tandis que les prix des produits ne cessent d’augmenter de façon arbitraire. Dans le secteur du transport en commun notamment, ce sont les chauffeurs dans leurs circuits qui décident au gré de leurs envies du prix de la course. L’État n’intervient pas et les passagers n’ont d’autres choix que de payer la somme demandée.

Quid des autorités

Au milieu de tout ce chaos, le peuple assiste à une inertie presque totale de la part des autorités. La seule mesure prise par le gouvernement a été d’interdire la vente de carburant dans des récipients sur le territoire. Mesure totalement utopique lorsque les pompes à essence sont fermées et que les gens sont aux abois et cherchent désespérément à s’approvisionner. Les différents stands de vente de gazoline et de diesel en petit gallon dans tout Port-au-Prince montrent d’ailleurs combien la population n’en a cure de la note émanant de l’Exécutif. Les stands de vente s’installent même devant les bâtiments publics comme c’est le cas pour le bâtiment de l’École de la Magistrature.

Pour exprimer leur ras-le-bol face à cette crise qui a trop duré, des motards ont entamé un mouvement de protestation entre le 13 et le 15 juillet. Pneus enflammés, barricades érigés sur plusieurs artères de la capitale, manifestations, pour demander à l’Etat de permettre la distribution du carburant. Les protestataires n’ont pas pris de gant. Mais rien n’y fit. Les mouvements de protestations ont pris fin tels qu’ils ont commencé, subitement, sans un mot de la part des autorités, sans aucune mesure concrète. La semaine s’écoule. Une autre commence. Et les gens désireux d’aller d’un point à un autre n’ont pas eu d’autres choix que de payer les prix fixés arbitrairement par les chauffeurs de bus, camionnettes, motos ou autres véhicules de transport public. Entre temps, d’autres mouvements de protestation prennent corps mais la situation ne change pas d’un iota. Les gangs continuent de semer la terreur tandis que les prix du transport en commun augmentent. L’insécurité frappe fort, ce sont les habitants du pays qui paient le prix fort.

Vanessa Dalzon

À propos Vanessa Dalzon

Vanessa Dalzon est Rédactrice en chef à Balistrad, diplômée en Droit à l'Université Quisqueya (UniQ). Elle est l'auteure du roman « Opération-Rupture », chronique publiée dans Balistrad pendant 22 semaines. Vanessa Dalzon partage son temps en dehors du bureau entre l’écriture, la lecture, le chant et les séries télé.
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