© Jan Sochor | Transport public dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince

Haïti-Transport : les prix des circuits à double vitesse

Temps de lecture : 5 minutes

Dernière mise à jour : 1 août 2019 à 18h57

Vous aviez sûrement déjà entendu parler de « dènye lè » en matière de transport en commun en Haïti. Il arrive souvent le soir lorsqu’on s’empresse de rentrer chez soi surtout avec la situation sécuritaire peu fiable. La demande augmentant et la peur comme unique booster des passagers, les transporteurs peuvent alors librement décider du prix des courses ne reflétant pas du même ceux fixés par le ministère des affaires sociales et du travail. Si les chauffeurs se libèrent des seuils fixés par le ministère dans des circonstances bien particulières (dènyè lè, embouteillages et variations des prix de l’essence à la pompe), de plus en plus, on a l’impression d’assister à un mic mac où passagers et transporteurs se livrentune lutte sans merci sous les yeux complices de l’organe régulateur : le ministère des affaires sociales et du travail. Les prix des circuits comme Port-au-Prince / Léogâne, Portail/Carrefour ou les taxis au Carrefour de l’aéroport défient les seuils fixés par le ministère des affaires sociales. Ils varient dans certains cas au gré des chauffeurs mais s’alignent aussi au coût réel de la vie.

Course Port-au-Prince / Léogâne

Depuis quelques temps, les passagers qui fréquentent les bus ou minibus assurant le transport de Léogâne/Port-au-Prince ne cessent de se plaindre vis-à-vis de l’instabilité du prix de ce trajet. Tous les jours, des milliers de gens tentent de rallier Port-au-Prince depuis Léogâne. L’infrastructure routière doit être modernisée et effective dans le pays de telle sorte que le transport en commun soit bien organisé et démocratisé.

Il est 12:30 pm. Les gens reniflent sans arrêt à cause de la canicule. Ils se battent pour trouver une place dans un bus à Portail Léogâne afin de rentrer chez eux et de pouvoir respirer autre air que celui du bois de chêne sur le boulevard Harry Truman. On défile entre l’embouteillage, la boue et des flaques d’eau pluviales bourrées de déchets. Des dizaines de minibus communément appelés  » Pap-padap  » font la queue et des personnes les inspectent avant d’y prendre place.

À l’entrée de chaque mini-bus se trouvent des marchands qui offrent aux passagers divers produits cosmétiques et comestibles, des mendiants se faufilent à bord des fenêtres afin de gagner un sou: « Bòs la ban m 5 goud non… » Il s’agit là d’une pratique plutôt ennuyeuse d’après une sexagénaire : « Ils ne veulent rien faire pour gagner leur pain quotidien tandis qu’ils ont devant eux tout un avenir ! »

Les passagers attendent qu’on leur réclame les frais de route et c’est à ce moment qu’un soudain chambardement va se produire. Après plus d’une trentaine de minutes avant l’arrivée d’un « contrôleur » (personne responsable de collecter les recettes ), les passagers n’avaient pas envisagé que le montant de la course pourrait, seulement en quelques heures, varier. Les choses ne tardèrent pas à s’éclaircir puisqu’à son arrivée, le contrôleur cria précisa : « Machin lan se 75 goud wi li chaje ! » Dès lors, les passagers affichèrent évidemment leur désaccord en raison de la hausse si prompte et sans cause valable. Certains ont chanté pouilles à ce dernier mais il resta intransigeant.

Habituellement le matin, pour se rendre dans la capitale, le prix est fixé uniquement à cinquante gourdes mais il faut aussi s’armer de patience vu que les chauffeurs attendent que les bus soient complètement remplis. Cependant, à mesure que la journée se prolonge, il faudra songer à payer soixante gourdes.

Des situations quasi-similaires

Cette situation se retrouve dans d’autres circuits de la zone métropolitaine comme ceux de Portail / Carrefour ou les taxis du Carrefour Aéroport. Les prix des bus de Portail varient eux aussi selon l’heure. Tard, le prix qui est fixé à vingt gourdes peut monter jusqu’à cinquante gourdes. Certains transporteurs expliquent pour leur défense que les passagers les sous-payent la matinée. Il leur faudra aussi composer avec les intempéries provoquant des embouteillages monstres et le niveau sécuritaire extrêmement inquiétant de Portail à Martissant. Ce qui, sur un plan strictement économique, devrait influencer les prix de la course.

Les taxis du Carrefour Aéroport aujourd’hui nommé Carrefour de la Renaissance se libèrent aussi du seuil fixé. Si la course était fixée à 30 gourdes par le ministère des affaires sociales et du travail, à delmas, elle a toujours varié entre 35 et 40 gourdes. Aujourd’hui, tout tend à s’aligner : cinquante gourdes. Selon eux, les trente gourdes ne peuvent couvrir que Carrefour Aéroport / Lalue. Tout dépassement coûtera 50 gourdes. Là-dessus, ils ne sont pas unanimes car certains demandent jusqu’à 60 gourdes. La course en taxi serait de fait entre cinquante et soixante gourdes.

Explications

Plusieurs raisons peuvent expliquer de telles variations. Mises à part les raisons liées au « dènye lè », aux risques des zones, la principale raison demeure économique. Avec la dégringolade de la gourde, le coût réel de la vie se voit évidemment augmenté. Aussi, les trente gourdes peuvent ne valoir réellement cinquante gourdes. Il y a donc nécessité d’ajustement. Cependant cet ajustement ne saurait être sectaire. Il nécessitera une intervention étatique devant ajuster tous les secteurs au coût réel de la vie.

Aussi, les velléités opportunistes des transporteurs ne sont pas freinés par les organes régulateurs qui sont les organisations de transporteurs et le ministère des affaires sociales et du travail. Si les tarifs des transports en commun sont fixés par le MAST quand les prix du carburant partent à la hausse, L’APCH (l’Association des Propriétaires et Chauffeurs d’Haïti) se devrait d’une certaine manière, sous les yeux de l’État, de gérer le confort des bus et camionnettes. Cependant, que peut-on vraiment les reprocher dans un pays sauve-qui-peut? Les normes de sécurité des passagers ne sont nullement respectées. Les transporteurs décident comme bon leur semble de faire du surplus en augmentant les strapontins permettant d’obtenir plus de places à l’intérieur des bus. Des inconséquences de routine qui peuvent d’ailleurs causer de grosses pertes en vies humaines en cas d’accident. Les passagers sont obligés de prendre place et de payer les soixante-quinze, soixante gourdes tout en fustigeant la scène qui s’offre à eux. Des dénonciations qui ne servent à rien.

Vers le changement

L’État doit se ressaisir pour améliorer les conditions de déplacement routier. Hormis les prix variants de la course, certains véhicules ne sont pas en mesure d’assurer la sécurité des passagers lors d’un voyage. En Haïti, tout le monde a le droit d’être en possession d’une quelconque voiture et parfois des voitures privées sont transformées en voiture de transport public. La faute d’un état irresponsable !

Il est plus que temps que l’APCH et les autres associations de transporteurs mais surtout le MAST restent fermes sur le prix fixé pour la course Port-au-Prince/ Léogane et des circuits en général. Il sera alors question de penser à des horaires bien bâties et aussi d’intégrer une modernité durable afin de rendre fluide le trajet pour les passagers. Le problème ne réside pas uniquement dans la différence de prix des stations mais aussi pour le confort des voitures.

Il faudra aussi penser à ajuster les salaires au coût réel de la vie. Il ne s’agira pas uniquement d’un secteur mais de tous les secteurs de la vie économique. Ce sera un vaste chantier économique et nécessitera beaucoup de réflexions touchant la vie économique haïtienne. Il est alors plus facile de laisser transporteurs et passagers à couteaux tirés. Tout tend à montrer combien rien, absolument rien n’est gouverné.

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Steevenson LOUIS

steevensonl37@gmail.com

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