Dernière lettre d’un jeune consciencieux à sa mère

Temps de lecture : 2 minutes

Dernière mise à jour : 20 février 2019 à 8h55

Désolé maman! Je vais devoir ne plus mettre les pieds à l’école. Je suis conscient du mal que tu t’es donnée! Je suis conscient des efforts que tu as consentis. Je comprends que tu t’es servie de l’argent qu’on t’a prêté à la banque pour couvrir les frais scolaires de l’année. Je sais aussi que les intérêts risquent tellement de monter que tu te trouveras dans l’obligation de tout vendre pour satisfaire tes créanciers. D’ailleurs, vu l’inflation actuelle, je doute fort que tu y parviennes. Je sais également qu’après cette déclaration – oh combien franche – tu devras me fouetter, m’injurier, m’humilier jusqu’à me nier . Apparemment c’est ainsi que procèdent certaines mères haïtiennes. Je te comprendrai, crois-moi…

Tu penseras sans doute que je deviens lâche ou même fou. Là encore, je te comprendrai douce manman. N’avons-nous tous pas une part de folie en nous ?

Avant tout, j’aimerais remercier l’espoir de te tenir encore en vie. Certains diront que t’es une éhontée face à la vie. Je dois également remercier ce mystère qui t’a donné le courage de négliger ton existence pour donner vie à celle de tes enfants. Mais maman …franchement tu n’aurais pas dû ! Maintenant, le temps te le prouve clairement .

Ton amour de mère t’a peut-être aveuglé pour ne pas voir le vrai décor de la vie en Haïti. Bon..s’il y a vraiment lieu de parler de vie car la vie en Haïti est tout sauf vivable!

Ton amour de mère t’a peut-être poussé à te sacrifier pour l’éducation de tes enfants sans même penser à la finalité de cette dernière dans le contexte haïtien. Encore, ton amour de mère t’a fait oublier que Dieusibon, le fils aîné de la voisine, avec son beau diplôme en médecine bien classé dans son tiroir est aussi en chômage. Oui maman… un médecin qui chôme ! Nest-ce pas beau ? Pourtant, des malades meurent dans nos hôpitaux paradoxalement par manque de médecins.

Maman , le cas du jeune Selondieu n’est pas différent . Lui a étudié l’agronomie. Devine ? Il se trouve également sans emploi. C’est aussi le cas du jeune ingénieur d’à côté et de Sulfiz, la fille de Monsieur Croixpam, qui a étudié l’économie. Maman, tu le sais mieux que moi …ces jeunes sont des génies mais le marché du travail les condamne de ne pas avoir un NOM adéquat. Oui maman , un nom pouvant justifier s’ils sont de vrais humains. C’est quoi encore le mien maman ?

T’inquiète! Pas la peine de le répéter. Il n’est sûrement pas du lot de ceux des humains d’Haïti. Pourtant, tu as voulu me le cacher. Maman tu n’aurais pas dû…

Je sais que je te blesse terriblement à travers ces lignes . J’en suis navré! C’est ma conscience qui a juste regagné sa place. Ce sont mes yeux qui n’ont plus accepté de rester fermés. Il y a trop de mangeurs de rêves qui nous dirigent. Trop de vendeurs d’avenir Maman! Comprends-moi s’il te plaît …

En te disant que je n’irai plus à l’école , je voulais juste t’avouer qu’accepter de vivre en Haïti sans un NOM adéquat(prétention à la con!) , c’est se condamner à vivre la merde éternelle.
Vivre dans l’eau semble plus confortable que vivoter sur cette maudite terre qu’est devenue Haïti.

On se verra là-bas maman!

Marvens JEANTY

Mis à jour le 20 février 2019 à 8h55
Publié le 20 février 2019 à 8h54

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