Un homme d'affaires prend un appel dans une usine de poêles dans la capitale haïtienne de Port-au-Prince. Photo : Pieter van den Boogert

La règle des trois jours, un autre cran vers l’anéantissement du peuple haïtien

Temps de lecture : 4 minutes

Dernière mise à jour : 11 novembre 2021 à 15h09

Toutes nos institutions, publiques et privées se conforment progressivement à fonctionner trois jours par semaine: lundi, mercredi et vendredi. Le pire, nous n’y voyons presqu’aucun problème comme si nous étions lessivés et fatigués de vivre.

Une crise qui se trame depuis l’ascension du régime Tèt Kale au pouvoir

On se souvient tous comment le candidat de Repons Peyizan, Michel Martelly avait accédé au deuxième tour des élections avec le support des États-Unis. On se souvient aussi du manque de courage politique de madame Manigat en se rendant au second tour avec lui signant du même coup sa mort politique. Il lui aurait fallu peut-être réitérer son refus comme elle l’avait fait aux elections de 2005 quand le CEP soutenu par les Etats-Unis avait refusé un second tour à son mari. Avec l’ascension de monsieur Martelly, un slogan a vite pris de l’ampleur: « se entèlektyèl ki kraze peyi a ».

Pourtant, sous le régime PHTK, l’un des plus grands scandales de corruption a éclaté: l’affaire Petrocaribe, plusieurs containers d’armes de guerres ont disparu et le pays s’est gangstérisé à une vitesse inouïe. Un autre slogan: « bandi legal » a porté un certain Roro Nelson, proche de monsieur Martelly à commettre méfaits sur méfaits sans qu’il ne soit inquiété. En 2014, veille de ce qui devrait être l’année électorale de 2015, des affrontements intermittents apaisés à coup d’argent du trésor public éclatèrent à Martissant, Bolosse et La Saline.

Entre temps, la grogne populaire monta, les messieurs Martelly et Lamothe se séparèrent. Monsieur Martelly a eu la présence d’esprit de faire appel à Evans Paul dit Kaplim qui arrivera tant bien que mal à calmer le jeu jusqu’à la transition des élections quasi irrégulières encore une fois soutenues par les États-Unis.

Jovenel Moïse ou l’éclatement d’un système qui ne fonctionnait plus

Le sénateur Jocelerme Privert devient président. Avec demi-courage {décidément le propre de nos politiciens}, il décida d’annuler les élections présidentielles sans prendre de sanctions contre ceux à qui les irrégularités avaient profité. Les États-Unis décidèrent d’abandonner la partie qu’ils reprendront lorsqu’ils constateront que monsieur Moïse, protégé de monsieur Martelly a été le seul candidat à mener une campagne de plus de deux ans avec les fonds des oligarques corrompus que ce dernier se tuera à dénoncer comme un bébé étonné de s’entendre dire non.

Sans étonnement, monsieur Moïse devint président. En moins d’un an, soit les 6-7 juillet 2018, il reçut les premiers avertissements du dérèglement minutieusement préparé par monsieur Martelly. Haïti connaissait son premier épisode lock après une tentative du gouvernement d’augmenter le prix du carburant. Depuis, des milliers de gens ont défilé dans les rues pour exiger le procès Petro Caribe impliquant une bonne partie des hauts fonctionnaires du régime PHTK: monsieur Jovenel lui-même et monsieur Laurent Lamothe.

Ces mouvements ont été progressivement réduits en silence par la montée de l’insécurité dans les quartiers populaires avant de gagner tout le pays. Jovenel essaya le coup de son tuteur en appelant monsieur Céant. Cependant, ce dernier a voulu peut-être faire avancer le dossier Petrocaribe et fut renversé lors d’un vote expéditif.

L’assassinat de monsieur Moïse, seulement un pas de plus dans l’inconcevable

Dans la nuit du 6-7 juillet 2021, monsieur Moïse a été assassiné chez lui. Avant lui, l’État qu’il dirigeait était incapable de rendre justice aux massacres dont nombre de ses alliés et partisans étaient indexés comme auteurs et complices. Certains avaient naïvement pensé que son assassinat aurait été le dernier coup dans le paroxysme de l’inconcevable haïtien. Depuis, les mauvaises nouvelles se sont succédé à un rythme où le quotidien haïtien est fait de tragédies et de fatalités.

On nous a tellement matés qu’on peut facilement tout imposer jusqu’à un certain Ariel Henry: le pire jusqu’ici se faisant homme. Il aura au moins quelque chose en commun avec monsieur Moïse: parler pour ne rien dire. Un couloir de sécurité est créé pour le transport de carburant, demain, des transporteurs de carburant se font kidnapper. Le carburant est en Haïti mais toutes les institutions se conforment à fonctionner trois fois par semaine.

La face cachée de cette situation qui nous éclatera assez rapidement au visage, ce sont les coupes de salaires, les licenciements de masse comme durant les premières vagues du Covid-19. Sauf que cette fois, il faudra y ajouter la famine. Oui, elle viendra aussi. La République dominicaine a, de façon indéterminée, fermé ses frontières avec Haïti même si on sait qu’elle sera la première à en pâtir ; et les routes menant à nos greniers dans le sud et le nord sont occupées par des gangs armés de plus en plus puissants.

Que faut-il faire?

Il faudra sûrement innover. Le pays lock ne fonctionne plus. Il n’a jamais fonctionné. En plus de décapitaliser la population, il a favorisé le renforcement des gangs. Aussi, le PHTK y est trop habitué. D’ailleurs, ils sont des fervents partisans du  » kite peyi m mache ».

On ne pourra pas non plus tomber dans les extrêmes de ce pasteur exhibant une arme de guerre en plein service. Cependant, aucun bandit ne devrait être légalisé ni se sentir à l’aise à commettre des méfaits. La juste mesure existe-elle toujours vraiment dans le cas d’Haïti? Il faudra peut-être s’inspirer de la Colombie avec les FARC tout en veillant à ce les crimes ne restent pas impunis. La société doit pouvoir se cicatriser.

Il faudra avant tout s’intéresser à ceux à qui profitent tous ces crimes. Cela devra, disons-le franchement, passer par un nettoyage de tout bandi legal et membre du PHTK du pouvoir. Ces derniers ont, depuis dix ans, montré leur incompétence et leur désir renouvelé de tuer le peuple haïtien.

Il faudra surtout que nous sortions de cette torpeur, que cessions de nous conformer comme accepter la règle des trois jours car elle nous mènera à la désagrégation la plus totale.

À propos Alain Délisca

Je suis Alain Délisca, un Haïtien. Le reste n'est qu'explorations et heurs.
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