[Décennie du séisme en Haïti] Échec de l’aide humanitaire : les médias ont peut-être la main trempée

Temps de lecture : 3 minutes

Dernière mise à jour : 12 janvier 2020 à 8h09

Jusqu’en 2019, j’éprouvais un profond malaise quand je lisais des revues de presse tant au niveau national qu’international sur l’action humanitaire post-séisme de 2010 en Haïti. Je me demandais souvent pourquoi le cadrage du discours médiatique porte tant sur une topique d’accusation et de dénonciation continue de la mauvaise gestion et de coordination de l’aide humanitaire. 

Dans un premier temps, je pensais au niveau de la presse internationale, que ce cadrage répondait juste aux stéréotypes occidentaux sur la représentation des pays du «Tiers Monde » ou en voie de développement [pour être politiquement correct] de façon générale qui présentent Haïti comme un état de désolation, faible, en proie à la mauvaise gouvernance, la corruption et la pauvreté extrême. Ce qui justifierait la mauvaise gestion de l’aide humanitaire et des fonds destinés à la reconstruction du pays.  Dans la presse locale, j’y voyais par contre un cadrage politique traitant davantage des faiblesses du système étatique haïtien, des déficiences des politiques institutionnelles comme étant des causes profondes de l’échec de l’aide humanitaire.

Mais, il y a quelques mois, j’ai été à Morne Lazare, un des quartiers les plus pauvres de la commune de Pétion-Ville. Là-bas, tout comme pour les autres quartiers qui lui sont adjacents tels que Nerrette, Morne Hercule, Argentine, les séquelles du tremblement de terre du 12 janvier 2010 sont toujours visibles : des restes de décombre, des maisons non réhabilitées, des familles encore dans des abris de fortune. J’ai été choqué de constater que même dix ans après cette tragédie, qu’il y ait encore autant de survivants oubliés à Port-au-Prince. J’ai réfléchi un peu sur les milliers de dollars mobilisés pour la réhabilitation de ces quartiers en 2011.

Je me suis dit, peut-être, le formidable élan de générosité national et international qu’avait suscité cette catastrophe et les innombrables interventions humanitaires qui ont suivi, ont profité aux villes de province qui ont été elles aussi dévastées. J’ai alors fait un saut à Léogane, l’une des communes les plus meurtries par le séisme, située à environ 17 kms au sud-ouest de Port-au-Prince. Le scénario n’était pas différent. Les stigmates du 12 janvier sont toujours présents et les habitants sont toujours terrifiés à l’idée d’un nouveau séisme qui pourrait-être  plus dévastateur.

J’ai longé la côte Sud, jusqu’à Lasinal, un bidonville de la commune des Cayes, qui se trouve à environ 200 km au sud-ouest de la capitale.  Là aussi, c’est la honte. La consternation. Plus de 200 familles, en grande partie des rescapés du séisme qui avaient fui Port-au-Prince, croupissent dans la misère, dans la plus grande indifférence des autorités locales mais aussi des humanitaires : sans électricité, ni eau potable, ni latrines.

J’ai finalement parcouru entre juillet et Septembre 2019 sept (7) départements. Dans tout le grand Nord, du département du Sud-est au département des Nippes jusqu’à la Grand-Anse.  Des survivants du tremblement de terre qui ont abandonné la zone métropolitaine vivent encore dans la plus grande indifférence de l’Etat haïtien et des bons samaritains qui continuent, 10 ans après, sans le moindre gène, à justifier des budgets annuels au nom des victimes du tremblement de terre.

Après ces petites visites, j’ai compris que si la gestion du post-séisme a été si « catastrophique », ce n’est pas seulement lié au fait que « les aidants et les réceptionnistes de l’aide se sont entendus pour détourner le meilleur : l’espoir et les milliards », pour reprendre Frantz Duval dans son article intitulé « Une décennie perdue » publiée dans les colonnes du Nouvelliste en date du 10 janvier 2020. Ce n’est pas seulement parce qu’Haïti a été plutôt considérée comme un « laboratoire » pour des experts, une proie facile pour des acteurs humanitaires improvisés. C’est aussi parce qu’il existe une relation pernicieuse voire perverse entre la force des ONG, des bailleurs et la faiblesse de l’Etat haïtien ou pour mieux dire l’irresponsabilité de l’Etat.

C’est peut-être aussi parce que l’emballement médiatique sur la situation humanitaire n’a été que de courte durée ou encore parce que Haïti était vite devenu une crise négligée voire oubliée dans la presse nationale et internationale. Les élections avaient déjà obstrué dès la fin de 2010, la situation dans les camps. Les victimes du séisme dans les médias locaux étaient de très tôt reléguées en arrière-plan, derrière les acteurs politiques en campagne. Pour citer un ancien responsable d’information publique d’une organisation humanitaire « Depuis 2011, les médias n’ont presque plus prêté attention à la gestion de la situation humanitaire sinon qu’à la proche de chaque commémoration de la tragédie ».

Le fiasco de la gestion de l’aide humanitaire repose tant sur les décideurs politiques, les acteurs nationaux et internationaux, qu’aussi bien sur les médias et les journalistes. Parce qu’ils peuvent contribuer, en tant qu’acteurs sociaux, à contrôler et veiller au respect des droits humains dans la gestion de l’urgence et la mise en œuvre de la reconstruction, à travers l’exercice professionnellement correcte de leur métier en tout temps.

 

Jean Max St Fleur

stfleurjeanmax@gmail.com

Publié le 12 janvier 2020 à 8h06
Mis à jour le 12 janvier 2020 à 8h09

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