Grossesse non-désirée

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À  Mon bébé

Je n’aurais jamais pensé te raconter tout cela dans ces conditions, mais jamais je n’ai voulu te perdre. Nous avions tant fait, ton père et moi, pour que tu naisses et restes en vie mais nous étions jeunes et irresponsables. De ta conception à aujourd’hui, je n’aurais jamais souhaité te voir là où tu es maintenant.

Ce soir-là, ton père et moi avions bu et je crois même que nous avions fumé deux ou trois joints. Nous étions bien arrosés et légers. Nous ne pensions qu’à nous amuser. N’ayant pas la tête sur mes épaules je n’avais pas pensé que j’étais à ma période d’ovulation et lui trop high pour penser à mettre un préservatif. Nous étions perdus au milieu de nos ardents baisers et caresses. Il a joui en moi sans même essayer le fameux pull out game qu’il maîtrisait pourtant à la perfection.

Tu avais deux semaines en moi et je ne m’étais rendue compte de rien vu que les évènements de la soirée de ta conception restaient flous dans ma mémoire. Même le retard de mes menstruations ne m’avait pas alarmée! Je l’avais associé au stress. Je n’ai commencé à me rendre compte de ton existence qu’après un mois d’aménorrhée parce que je me suis mise à vomir de temps en temps. Je me réveillais avec la nausée et mes journées étaient toutes fatigantes malgré mes longues nuits. Je ne pouvais même plus supporter l’odeur du parfum de ton père que j’adorais pourtant.

Ton père et moi avions donc décidé de confirmer ta présence en faisant un test de grossesse. Ce dernier s’était révélé positif. Sur le coup nous étions choqués et effrayés. Aucun d’entre nous ne travaillait et malgré nos vingt ans et notre niveau d’étude, nous dépendions encore de nos parents. De plus, dans notre pays il n’y a aucun programme de soutien pour les jeunes parents.

Nous t’aimions déjà mais nous ne pouvions pas te garder car tu allais beaucoup souffrir et nous encore plus! Nous avions été irresponsables, nous le savons mais nous ne pouvions pas te laisser naître ainsi. Sans préparation! Tu n’aurais même pas eu un berceau pour t’accueillir ! Qui sait si mon corps aurait eu assez de force et de ressources pour produire du lait pour toi ! Par amour pour toi, nous n’avions pas voulu te laisser connaître le monde cruel dans lequel nous avons toujours évolué. Nous avions pris rendez-vous chez un médecin référé par des amis pour qu’on t’élimine. Je stressais beaucoup en attendant ce jour. Ton père, lui,  était dans tous ses états.

Le jour était enfin là. Arrivés au cabinet du médecin, nous n’arrêtions pas de trembler, moi encore plus que ton père. L’infirmière était venue me chercher à la salle d’attente et ton père avait insisté pour être à mes côtés pendant l’intervention.

J’étais finalement prête. Au moment où elle allait m’administrer l’anesthésie, j’ai poussé un cri pour l’en dissuader et tout arrêter. À ce moment j’ai vu le soulagement sur le visage de ton père. Il n’avait jamais voulu te perdre. Nous avions toujours su trouver un moyen de nous sortir de nos problèmes. Humm… un problème? Tu n’en étais pas un comme on le croyait au début.

En sortant de cette clinique où nous avions failli commettre la plus belle gaffe de notre vie, nous t’aimions encore plus et étions finalement prêts à t’assumer comme cadeau et résultat de notre irresponsabilité.

L’avortement n’était pas la seule et meilleure issue.

Nous avions tout fait pour te protéger. Dieu seul sait combien les journées ont été longues et les nuits blanches! Ton père et moi avions dû laisser chez nos parents et nos études pour aller habiter dans cette vieille bicoque de ce quartier mal famé. Personne n’a voulu de nous! Personne ne nous a aidés à trouver un travail. Il était temps pour nous de voler de nos propres ailes.

Ce soir-là, j’étais trop fatiguée parce que j’avais passé toute la journée à laver ton linge. Te surveiller. Te préparer à manger. Préparer aussi à manger à ton père qui soulevait des boîtes au marché. Ce soir-là, je n’avais plus de force… Je m’étais endormie en te bordant et je m’étais retrouvée sur toi. Ton père n’était malheureusement pas rentré assez tôt pour pouvoir te sauver…

J’ai été réveillée par son cri alarmant. Je  pensais qu’il lui était arrivé quelque chose. Il avait fallu que je croise son regard pour comprendre ce qui s’était passé. Le poids de mon corps t’avait étouffé.

Aujourd’hui on m’a libéré de prison. Eh…oui, j’ai été accusée de ton meurtre. Je ne sais pas comment ils ont pu croire qu’une mère aurait eu le cran d’assassiner son enfant ! Chaque jour pour moi est comme ton anniversaire mais aujourd’hui tu aurais eu 10 ans…

Le bouquet que je dépose sur ta tombe ne te ramènera pas à la vie et ne me rendra pas non plus celle que j’ai perdue à cause de l’incompréhension de mon entourage. Il fallait que je te raconte tout cela pour que tu saches que malgré tout ce que j’ai enduré, je t’aimais et je t’aimerai toujours mon enfant.

D’une mère déchirée par la vie.

 

Isaac Justine

 

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