Le changement n’est pas pour demain….

Temps de lecture : 3 minutes

Dernière mise à jour : 25 août 2018 à 11h09

Je me souviens encore de ces jours à Saint-Louis de Gonzague – l’une des meilleures écoles haïtiennes ayant, en passant, formé une bonne partie des Petro pilleurs -, après les cours, où mon meilleur ami et moi, les étoiles aux yeux, partagions nos rêves pour Haïti. Je l’écoutais, la voix tremblante de fierté, parler de cette sexagénaire dont il était le moniteur à l’école du soir (alphabétisation) :

« …Yoow…li di m mèt la m ka ekri non m byen kounya ! Mèsi… »

Nous étions sûrs de nous et animés par l’irréductibilité  juvénile : tout ou rien. Nous respirions la révolution ! Pourtant pas plus tard qu’avant-hier, la veille du sit-in Petro Challenge, il m’avait appelé :

« Petit frère, finis ton mémoire pour te tirer vite fait de ce pays mangeur d’hommes ! »

En seulement six ans, nous étions devenus de véritables conformistes et, comme nos aînés, par peur et découragement, nous troquâmes nos velléités de changement pour une relative stabilité de vie. Et quelle vie ! La vie d’un élément de la classe moyenne ne voyant pas plus loin que les summit et les fêtes à 40 us à Pétion-ville.

Mais hier, j’avais comme pour la nième fois recouvré ma jeunesse et l’espoir. C’est comme s’attacher à une cause de loin plus importante que sa vie ! J’eus tout de suite honte de moi d’avoir pensé à quitter le pays lors des émeutes des 6 et 7 juillet alors que devant moi, maintenant, n’étaient qu’engagement et abnégation. J’eus encore des doutes car, pas plus tard que deux ans, j’éprouvais ce sentiment lors des présidentielles et sénatoriales et je m’en étais sorti déçu et amer. Cependant en voyant la foule chahuter les politiques présents, je me laissai à nouveau bercer par les promesses du véritable changement. Il était temps que ce peuple se réveille…qu’il devienne enfin égoïste.

J’entendis les tambours de la Révolution retentir à nouveau du fond de mes entrailles à chaque parole du PetroCia. Avez-vous déjà vu les tressaillements d’un homme résistant au chevauchement d’un loa ; ou la raideur d’une croyante timide habitée par le Saint-Esprit ? Eh bien…je fus chevauché par la fierté ! La fierté d’être haïtien, la fierté d’appartenir à l’avenir, cette foule jeune en liesse scandant le NON du ras-le-bol. Alors je compris Dessalines qui voyait ses soldats comme des dieux au lendemain du 18 novembre. Les dieux sont libres…ils savent dire non…

Imaginez ma joie de rencontrer ces filles que je croyais zuzu et ces éléments trop réactionnaires pour se positionner, les éclairs dans les yeux, la vigueur dans les mains et l’énergie dans la voix foulant le béton comme on poursuit l’ennemi battant en retraite. Bristols et cartons pour boucliers, leurs langues comme détonateurs, je les ai vus, confiants et sourire aux lèvres avancer comme un puceau endurci voulant connaître le plaisir de la chair. Non…mieux encore ! Comme des hommes ayant découvert le secret de l’immortalité.

Je fus sans mot lorsque je les observai nettoyer la rue. Mon ami aurait dû être là ! Je reste persuadé qu’il aurait recommencé à rêver comme moi. Le parcours sera peut-être long mais ces détails sont comme un morceau de canne à sucre vous sucrant le cœur quand les péripéties d’une lutte auront plutôt tendance à vous le retourner. Ah ! Ces détails maintiennent l’euphorie et rendent l’impossible réalisable.

Le soir tombé, fier tel un athlète ramenant la médaille d’or, je pris le chemin de ma maison. Arrivé à Clercine, je sortis ma bourse et payai le bèf chenn le prix du parcours. Quel parcours d’ailleurs ! Il s’agit d’un bout de parcours pour lequel le gros bon sens ne donnerait pas plus que cinq gourdes mais fixé à sept gourdes. Lorsque je lui tendis les sept gourdes, il me toisa avant de lancer :

« E di goud pou w ban mwen sinon desann ! »

L’euphorie révolutionnaire m’habitant toujours, je rétorquai fermement :

« Kous la se sèt goud li ye. Tout sa w pran anplis se vòlò sa rele ! »

Je fus surpris d’entendre une femme me lancer pour être ensuite soutenue par tout le tap-tap :

«  Ey fout tigason ! Ou pa konn se konsa bagay la ye ! Peye mesye a pou l ale tande ! Moun tou prese a ! »

La réaction des passagers fut comme une douche froide qui m’ôta de mes rêveries. Il me rappela alors que le changement n’est pas pour demain… mais que les possibles retombées valent au moins le parcours….

À propos Alain Délisca

Je suis Alain Délisca, un Haïtien. Le reste n'est qu'explorations et heurs.
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