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CHRONIQUE | Haïti, au-delà du réel (2) : Comment sommes-nous devenus « noirs » ?

Temps de lecture : 2 minutes

Dernière mise à jour : 12 septembre 2019 à 9h20

« Nous sommes tous identiques à 99,9 %, donc les races n’existent pas » a écrit le biologiste moléculaire et généticien Bertrand Jordan dans son livre L’Humanité au pluriel, la génétique et la question des races (2010). Cette déduction découle de son analyse sur l’éventuelle différenciation des groupes humains. En effet, ce que « les détenteurs du discours » appellent race n’est qu’une faible différenciation entre les hommes qui représente moins de 0.1% de la composition de l’individu.

Toutefois, cet infinitésimal pourcentage est devenu la principale arme de l’Occident pour rassasier sa soif de dominer et d’être le/au centre du monde. L’Occident est « blanc » [et chrétien], sa couleur est en effet supérieure [ainsi que sa religion].

Ainsi, toute la tradition philosophique occidentale est marquée par une passion : « la pureté ». Celle-ci peut s’expliquer par le fait que toute explication est tournée autour du « blanc ». Dieu est pur, il est blanc, et par opposition se trouve le diable, que l’on (re)présente généralement comme un être « noir », de couleur « noire ».

En effet, tout ce qui est proche de Dieu (du blanc) est intelligent, beau, civilisé. Et, par philanthropie l’homme blanc se lance à la quête du « noir », pour lui donner un brin de lumière, pour le civiliser. L’esclavage est donc le principal outil adopté par l’homme blanc. Ainsi, « le noir est un homme noir ; c’est-à-dire qu’à la faveur d’une série d’aberrations affectives, il s’est établi au sein d’un univers d’où il faudra bien le sortir » (Fanon, 1952 : 6).

Cette prétendue inégalité entre les races a fait l’objet de nombreux travaux, particulièrement de tentatives de légitimation par des pseudo-scientifiques [voire notamment Gobineau, 1967]. Ils soulignent principalement la supériorité de la race « blanche » sur les races de « couleur ». De ce fait, tout ce qui est proche du blanc est supérieur par rapport à l’autre. Le mulâtre est en ce sens supérieur au noir.

Ce discours a traversé les sociétés coloniales. Toutefois, dans quelques régions il a été mis en question. Tel est le cas d’Haïti, dès le début du XIXe siècle. Malgré tout, le racisme [aujourd’hui sous la forme d’apartheid social] est toujours présent dans la société haïtienne après plus de deux cents ans de formation.

En réalité, cette question de couleur, de race, qui régit la société haïtienne, et beaucoup d’autres sociétés, n’est qu’une construction sociale, historique et symbolique. Il est le produit d’un long processus historique, marqué par la fabrique d’un ensemble de discours. Mais aussi par un ensemble de pratiques démophagiques appliquées aux catégories « infériorisées ».

Micky-Love Myrtho Mocombe

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Références bibliographiques
Abadie, D. (2014). Ce qui fait la « race nègre ». Note de lecture de Critique de la  raison nègre d’Achille Mbembe. Thinking Africa.
Balibar, E. (2005). « La construction du racisme », Actuel Marx. 2 (n° 38), p. 11-28.
Batamack, E. (2014). « Achille Mbembe. Critique de la raison nègre », Afrique contemporaine. 1 (n° 249), p. 131-133.
Fanon, F. (1952). Peau noire et masques blancs. Paris : Seuil.
Gobineau, A. (1967). Essai sur l’inégalité des races humaines. Paris : Pierre Belfond.
Jordan, B. (2010). L’Humanité au pluriel, la génétique et la question des races. Paris : Seuil.
Labelle, M. (1987). Idéologie de couleur et classes sociales. Montréal : Presse Universitaire de Montréal.
Mbembe, A. (2013). Critique de la raison nègre. Paris : La Découverte.
Moïse, C., « Les théoriciens du mouvement révolutionnaire haïtien et la formation sociale haïtienne : étude d’un cas », Nouvelle Optique (5), 1972, p. 119-142.
Saint-Louis, R. A. (1970). La Présociologie haïtienne ou Haïti et sa vocation nationale. Montréal : Leméac.
Saint-Méry, M. (1958). Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l’Isle de Saint-Domingue. Paris : Librairie Larose.
Taguieff, P-A. (dir.). (1993). Face au Racisme. Paris : La Découverte.
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À SUIVRE…

À propos Micky-Love Myrtho Mocombe

Je suis étudiant en master sociologie à l’Université Paris-Saclay. Je suis blogueur, rédacteur à Balistrad.
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