Justin Lhérisson (1873-1907), de son nom complet, Alexis Michel Justin Lhérisson, n’a pas vécu un demi-siècle mais s’est révélé être un génie à part entière de la littérature haïtienne. Compositeur de la Dessalinienne, hymne national haïtien, l’écrivain Georges Anglade, le considère comme le « maître » des lodyans. Aujourd’hui, marque les 111 ans de la mort de cet écrivain haïtien. Une occasion pour moi de me pencher sur l’apport de sa plume au créole haïtien.
La lodyans (pron. /lodjɑ̃s/, étym. l’audience) est un genre littéraire haïtien, caractérisé par un récit bref proche du conte. L’oeuvre littéraire de Justin Lhérisson est surtourt marquée de deux minces romans, « deux audiences » plus exactement, La Famille des Pitite-Caille (1905) et Zoune chez sa ninnaine (1906).
L’analyse de ces lodyans révèle une grande création lexicale chez l’auteur. Si l’orthographe du créole a évolué depuis, bon nombre d’expressions populaires du temps de Lhérisson ont survécu jusqu’a aujourd’hui. « Ça Dieu serré pou vous, l’avalasse pas janm’ poté l’alle ». (Sa Bondye sere pou ou, lavalas pa ka pote l’ ale.) « Coup pou coup, ça nègue fait nègue pas péché ». (Sa lòm fè lòm, Bondye ri) Matellote (rivale). Minnin coinda (pikan kwenna). Bêkèkè (étourdi). Djioles allèlès (dyòl alèlè) se dit de quelqu’un qui divulgue les secrets.
Lexique inspiré de l’oeuvre de Justin Lhérisson
En lisant « La Famille des Pitite Caille » (1905) et « Zoune chez sa Ninnaine » (1906), nous pouvons dresser de ces œuvres une liste de quelques noms de personnages, lesquels ont subi des changements de sens dans le créole haïtien, qui peuvent faire l’objet d’une analyse lexico-sémantique.
1) Cadet Jacques
Personnage dans « Zoune chez sa Ninnaine » qui a intenté un viol à l’endroit de l’héroïne du roman. Vous n’entendrez jamais un Haïtien de notre génération dire ʺ »vyolè » pour faire référence a un violeur ou un agresseur sexuel mais plutôt ʺkadejakèʺ.
Donc, est appelé ʺkadejakèʺ tout homme qui fait ou qui a tenté de faire l’action de Cadet Jacques.
2) Grandchirez
Famille que fréquentait les Pitite-Caille. Dans sa petite biographie, Golimin, personnage-narrateur du roman, explique que le grand-père des Grandchirez était houngan, chef de section, commandant de place sous Riché.
« Grandchirez » est formé de deux éléments lexicaux : de l’adjectif ʺgrandʺ et d’une forme verlanisée de Riché.
Ce même élément lexical traduit de nos jours une femme qui s’expose devant la face des autres de manière à les importuner.
Analyse sémantique des noms de personnages
3) Assezfille – Aséphie
DamvalaPitite-Caille, géniteur de soixante-neuf enfants dont quarante filles. Assezfille (Aséphie) était le nom significatif de la dernière fille.
A l’origine, formé de l’adverbe assez et du nom commun fille, ce prénom renvoyait a un signifié clair : trop de filles comme progéniture. Celle-là, c’était la dernière ou devrait l’être.
Parallèlement , le rappeur haïtien, Fantom, de son vrai nom Daniel Darinus, dans sa chanson intitulée « Asefi » présente une certaine Natalie qu’il appelle aussi Asefi ayant subi toutes les malheurs de la vie jusqu’à contracter le virus du sida. Par-là, le sens perceptible pour ʺAsefiʺ serait une femme martyr dans la vie sociale et par pitié on se rend compte qu’elle assez enduré. Asefi, s’en est assez pour cette fille.
4) Goldinberg
Eliezer et Velléda Pitite-Caille fréquentaient les Goldinberg, une famille présumée aisée. Dans le créole haïtien, on a tendance à dénommer ˝Goldenbè˝ (˝Goldinberg˝) tout homme excessivement de toute taille.
Cependant, le locuteur créolophone en utilisant le terme péjoratif ˝Goldenbè˝ semble avoir à l’esprit le mot ˝gol˝, qui désigne une pièce de bois assez longue et facile à manœuvrer servant à la cueillette ou autres activités du genre.
5) Mme Granlizière
Dans le créole haïtien, si on dit à une femme qu’elle est une ˝granlizyè˝ (Granlizière), cela a un sens péjoratif. Le mot « lisière » traduit en particulier la limite d’un bois, d’une forêt, avec les zones déboisées.
«Granlizière » designe une femme qui essaie de vivre au-dessus ou a la limite de ses moyens az la face des autres.
L’œuvre de Justin Lhérisson : une œuvre éternelle
Justin Lhérisson (1873-1907), poète, audienceur, auteur de notre chant national « La Dessalinienne », semble parfois être dans les oubliettes malgré une œuvre qui nous parle jusqu’à aujourd’hui sans trop évoquer son auteur. Justin Lhérisson est le plus original de nos écrivains comme en témoigne ses audiences.