Violence dans les pratiques pédagogiques : Humiliation scolaire et châtiment corporel à l’école haïtienne, mieux comprendre la question

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Dernière mise à jour : 28 février 2019 à 16h53

Injures, rabaissement, coups de règle, fessées et autres violences font de l’école haïtienne un lieu fiévreux. Une crise très ancienne qui nous rappelle tous quelque-chose: “Aller à l’école est une misère continuelle pour les élèves en Haïti. »

La violence (1) est omniprésente en Haïti, des sections communales  aux grandes villes : zombification et justice de morne, vols, viols, braquages, menaces, agressions de toutes sortes, tueries, séquestrations, etc. Ces spécificités de la violence deviennent plus ou moins importantes en fonction de la zone en question, aussi de l’époque choisie. La violence, suivant la typologie, concerne généralement plusieurs facettes de la vie courante, touchant à la fois le physique, le psychologique et le social. Les types de violence sont nombreux (2) et varient en fonction de la classification considérée.

Pour l’OMS, il existe trois formes principales de violence : La violence personnelle, la violence interpersonnelle et la violence collective. La violence personnelle est celle dirigée par soi et contre soi; par exemple l’automutilation et le suicide. Ensuite, la violence interpersonnelle, qui concerne celle orientée contre les autres ou un petit groupe. Cette forme concerne les agressions diverses à l’égard des autres : violence conjugale, familiale (maltraitance d’enfants), violence des jeunes, viols, vols, agressions sexuelles, harcèlement, etc. La violence interpersonnelle est aussi exercée dans un cadre institutionnel: Un quelconque lieu de travail, entreprise, bureau, école, etc. Enfin la violence collective qui concerne celle exercée par un groupe contre un autre, cette forme concerne une identification à une cause : guerre, génocide, violation de droit d’une communauté, etc.

Dans le cadre de la violence institutionnelle, on s’arrête sur la violence scolaire (3), une forme de violence importante pour les sciences humaines en Haïti. Les écoles en Haïti connaissent depuis très longtemps des raz-de-marée de violence: celle exercée par les élèves entre-eux, par les élèves contre les professeurs et finalement par les professeurs ou le personnel contre les élèves. Ce dernier cas de figure peut faire l’objet d’une violence sexuelle ou autres formes. Ici l’accent sera mis uniquement sur l’aspect pédagogique, c’est-à-dire les pratiques pédagogiques coercitives, spécifiquement l’humiliation scolaire et le châtiment corporel.
Quels sont les impacts de ces pratiques sur l’apprentissage des élèves ? Pourquoi beaucoup d’élèves ont-ils peur de l’école? Est-ce que cette violence peut avoir un effet néfaste à long terme sur le développement de l’individu ?

Dans la suite de ce travail, nous allons d’abord aborder la question à travers une approche définitionnelle du châtiment corporel et de l’humiliation scolaire. Ensuite, nous aborderons la portée culturelle liée à la question. Après, nous verrons ce qu’en pensent la loi et les organisations internationales. Finalement, on fera ressortir les conséquences diverses de ces phénomènes sur l’élève dans un plan immédiat et à long terme.

Châtiment corporel et humiliation scolaire: Pour une approche définitionnelle

  • Châtiment corporel

Le châtiment corporel concerne les formes de violence physique qui font mal. Parfois des coups qui laissent des traces passagères ou durables sur la peau. Il s’agit de gifles, claques, fessées, etc. D’autres gestes comme : donner des coups de pied, griffer, pincer, tirer les cheveux, mordre, etc. (Salmona, 2014) (4)
« Parfois le professeur me met debout sur un pied pendant plus d’une heure pour avoir parlé créole. Souvent j’étais fouetté durement pour de mauvaises notes en récitation, en calcul, pour des retards et autres faits » (Témoignage anonyme).

  • L’humiliation scolaire

L’humiliation scolaire s’inscrit dans un cadre plutôt psychologique. L’élève est rabaissé par le professeur, soit individuellement (rabaissement individuel) ou avec le groupe (rabaissement collectif). Dans le rabaissement individuel, le professeur attire l’attention des autres sur l’élève au tableau ou assis sur son pupitre. Le professeur le traite de  » con, gros nul, lourd,“ Tèt kaka kalbas” etc ». Tandis que
dans le rabaissement collectif, c’est un groupe qui est concerné. Par exemple, les élèves qui n’ont pas de bonnes moyennes sont placés en arrière dans la salle (L’enfer), les bons, près du professeur (Le paradis), les moyens au milieu (Purgatoire). (Merle,2002) (5)

La portée culturelle liée à la question

En Haïti, à part quelques exceptions, les pratiques coercitives à l’école ne sont pas rejetées par la société. On entend souvent cette affirmation qui résume tout : “ Timoun se bay li manje, bay li baton.“ Des parents vont plus loin en critiquant les professeurs qui n’aiment pas fouetter les élèves. Ils lancent souvent cette phrase automatique : « Se jwe pwofesè a ap jwe avèk dèyè l! ” Près de la moitié des enquêtés, dans le cadre d’un petit sondage, pense que ces pratiques contribuent au succès académique. Cette petite enquête ne peut pas être généralisée mais c’est un cas de figure intéressant. Elle a été réalisée au Campus Henry Christophe de l’Université d’État d’Haïti à Limonade (CHC-UEH-L) en juillet 2018. Cette réflexion soutient donc avec toute réserve que les haïtiens ne se séparent pas encore de ces pratiques éducatives. Au final, frapper avec la bouche ou frapper le corps serait légitime dans ce sens-là. Des recherches plus poussées doivent être faites pour mieux éclairer la question. Le ministère de l’éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP), l’Université d’État d’Haïti et les autres entités concernées doivent se pencher un peu plus sur ce cas.

Ce qu’en pensent la loi et les organisations internationales

  • La loi haïtienne

Une loi interdisant les châtiments contre les enfants a été votée puis publiée dans “ Le Moniteur ”, le lundi 1er Octobre 2001.

Article 1

“ Les traitements inhumains de quelque nature que ce soit y compris les punitions corporelles contre les enfants sont interdits.”

Article 2

“Par traitement inhumain, il faut entendre tout acte de nature à provoquer un choc corporel ou émotionnel, tel frapper ou bousculer un enfant, ou lui infliger une punition susceptible de porter atteinte à sa personnalité, par ou sans l’intermédiaire d’un objet ou d’une arme ou l’usage d’une force physique abusive.”

  • La Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE)

La Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) est contre toute forme de violence sur l’enfant :
« toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié » (article 19, CIDE 1989). Aussi la convention poursuit pour ordonner que toutes les mesures soient mises en place pour que : « nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (article 37, CIDE, 1989), aussi pour « assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être. » (article 3, CIDE, 1989)

Les conséquences diverses de ces phénomènes sur l’élève dans un plan immédiat et à long terme.

Les pratiques coercitives menacent l’équilibre de l’élève à court et à moyen terme selon certains scientifiques.
À court terme
D’abord, le châtiment corporel peut, de manière simple, laisser des traces corporelles mais, en profondeur, il existe bien d’autres choses. De manière plus profonde, le châtiment corporel peut engendrer des phobies, des problèmes cognitifs, affectifs, sensoriels et de l’instabilité émotionnelle (Sous-estime de soi, sentiment de culpabilité et l’agressivité (6). (Salmona, 2014).(4)
L’humiliation, dans ses conséquences, peut démotiver l’élève, provoquant éventuellement le décrochage et l’inadaptation scolaire. (Merle, 2002) (5)

À long terme, les pratiques coercitives seraient dangereuses pour l’élève par rapport à l’argument qui se base sur l’apprentissage social de l’agressivité(6). Dans ce sens-là, l’enfant victime peut devenir violent dans son développement. On peut résumer ainsi : “ Un enfant victime, agressé peut devenir un parent violent.” (Salmona, 2014).(4)

Par rapport à ce qui se passe dans les écoles en Haïti, beaucoup d’élèves associent le fait d’y aller à un mauvais goût. Donc le simple fait de penser à l’école, aux leçons, aux professeurs peut créer un certain stress, ou une phobie chez l’élève et toutes les conséquences évoquées là-dessus. L’école, dans l’aspect pédagogique, doit lutter contre la violence dans ses démarches pour faciliter l’apprentissage. Comme le pense Boris Cyrulnik, un neuro-psychiatre français, la confiance élève-enseignant est nécessaire pour l’apprentissage. (Cyrulnik,2003)(7). Il faut prioriser des techniques pédagogiques modernes qui s’appuient sur des théories efficaces, surtout en rapport avec le socio-constructivisme(8). C’est-à-dire l’apprenant participe à la construction de son savoir en interaction avec les autres. Donc c’est de parler de l’esprit d’équipe, de communauté, d’interaction, de relation sociale, aussi de confiance dans l’activité éducative. Cependant, cet aspect abordé dans le cadre de ce travail en rapport avec le châtiment corporel et l’humiliation scolaire ne concerne qu’un faible pourcentage du problème de l’école en Haïti. Le mal est plutôt systémique, social, économique, politique, surtout transgénérationnel.

Appolon Pascal


Notes et références :
(1)La violence est l’utilisation intentionnelle de la force physique, de menaces à l’encontre des autres ou de soi-même, contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fortement d’entraîner un traumatisme, des dommages psychologiques, des problèmes de développement, un décès, un dommage moral, un mal-développement ou une carence » (OMS, 2002, p. 5).
(2) Il existe, suivant d’autres classification plus larges, les formes suivantes : Violence verbale, violence psychologique, violence d’État, violence symbolique, violence économique, violence physique, violence religieuse, violence naturelle, Cyber-violence, etc.
(3) La violence scolaire est un « phénomène complexe impliquant différentes composantes du système scolaire (élèves, enseignants, institution scolaire, environnement familial et socio-économique) en interaction aboutissant à une atteinte physique ou morale pour une des composantes au moins. (B. Mouvet, J. Munten et D. Jardon, 2000)
– MOUVET B., MUNTEN J., JARDON D. (2000). « Comprendre et prévenir la violence à l’école. Vers un référentiel critique des mesures actuelles de prévention et de lutte contre la violence scolaire », Recherches en éducation, n°69/99, p.6.
(4)SALMONA.M., « Fessées et gifles : les punitions corporelles entraînent phobies,Toc et… Désobéissance », http://leplus.nouvelobs.com, 24 novembre 2014.
(5) Merle.P. (2002).L’humiliation des élèves dans l’institution scolaire : Contribution à une sociologie des relations maître-élèves.Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin
(6) BANDURA,A, Ross,D et Ross,S avaient réalisé une expérience en 1961 qui démontre comment l’agressivité peut être apprise par l’enfant. La question de l’apprentissage par observation, par imitation de Albert Bandura. ( Apprentissage social de l’agression
-BANDURA,A, Ross,D et Ross,S (1961) « Transmission of aggression through imitation of aggressive models », Journal of Abnormal and Social Psychology, vol. ou n° 63, p. 575-582
(7) CYRULNIK, Boris (2003). Le murmure des fantômes, Paris, Éditions Odile
(8) Potvin.P. (2015), Comprendre l’apprentissage pour mieux éduquer. BÉLIVEAU Éditeur

À propos Pascal Apollon

Je suis Pascal Apollon, écrivain, poète, slameur, critique littéraire, responsable de la communication et des relations publiques à la société du samedi soir, présentateur d’émission et psychoéducateur stagiaire à Foyer Lakay (Faculté de psychoéducation du Campus Henry Christophe de l'Université d’État d’Haïti à Limonade). J'ai trois livres publiés en Haïti et en France, entre 2016 et 2018: J’aurai peut-être dix-huit ans ; Tche wòb Valantin et Grog, ''l'isolement'' . Je vis au Nord, plus précisément entre le Cap-Haïtien et Limonade.
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