Police nationale, violence et droit syndical

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Dernière mise à jour : 26 février 2020 à 16h12

Les policiers réclament, depuis quelques temps, de meilleures conditions de travail. Ils ont donc essayé un coup de force avec le SPNH, leur syndicat sauf qu’apparemment c’est interdit. En tout cas, il y a controverse… Sinon à quoi serviraient toutes ces agitations?

Depuis l’année dernière, les protestations de certains policiers, à leur tête Yanick Joseph, réclamant de meilleures conditions de travail ont mené à la création du Syndicat de la Police nationale d’Haïti (SPNH) déclaré jusqu’ici illégal, étant en désaccord avec les règlements de la PNH. Ainsi dès le départ, les protestataires se sont heurtés à la réponse : la Police ne dispose pas du droit de se syndiquer. Des mois après, le mouvement se poursuit avec plus d’ampleur… En Haïti, nous avons la fâcheuse tendance de penser que la majorité des questions doivent se régler par la dialectique des armes, les questions juridiques, elles, demanderaient un peu plus de recul… même si, dans quel que soit le domaine, la raison du plus fort seule comptera.

En Droit du Travail, le mot syndicat désigne une association de personnes avec pour objectif la défense de leurs intérêts professionnels communs ; des travailleurs qui se regroupent donc pour la défense de leurs droits à de meilleures conditions de travail. La liberté syndicale devient dès lors cette possibilité de se mettre ensemble pour défendre des droits tels le droit à la réunion, à une juste rémunération et le droit de grève, l’un des plus fonciers. Tout de suite, il convient d’écarter de tout esprit l’idée que la liberté syndicale et le droit de grève sont identiques. La liberté syndicale est détachable du droit de grève si bien que la première puisse être accordée sans le second.

Le droit syndical, même consacré par des instruments juridiques internationaux peut faire l’objet de restriction pour certains corps comme les forces de police et les forces armées. C’est d’ailleurs l’avis de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui déclara en 2009 que : « le principe de la liberté syndicale peut être compatible avec l’interdiction du droit de grève des fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’Etat”, même si le droit de grève “représente sans nul doute l’un des plus importants des droits syndicaux”. [ CEDH, 21 avril 2009, Enerji Yapi-Yol Sen c/Turquie, § 32.]

Le cas de la PNH / Guerre des textes de lois

Créée par la Loi du 29 novembre portant création, organisation et fonctionnement de la Police Nationale d’Haïti, la PNH est une force de police civile, donc ses membres ne détiennent pas le statut militaire. Elle est également régie par ses règlements intérieurs, le Manuel de Règlement de Discipline Générale, le Code de déontologie de la Police Nationale. À l’heure du débat, la question substantielle qui se pose : les policiers ont-ils le droit se regrouper en syndicat ?

D’un côté, il y a d’abord la Constitution de 1987 amendée en son article 35.3 qui accorde à tout travailleur du secteur privé et public le droit de se regrouper avec d’autres pour défendre ses intérêts. « La liberté syndicale est garantie… », peut-on lire. Ensuite, l’article 23 alinéa 4 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) dispose : « Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. » Enfin, le décret de 2005 portant révision du Statut Général de la Fonction Publique en son article 151 reconnaît aux fonctionnaires publics, la liberté d’association et la liberté syndicale selon la loi. Or, l’article 9 de la loi de la PNH accorde aux policiers le statut de fonctionnaire public.

D’un autre côté, les règlements internes de la Police enlèvent aux policiers le droit de s’associer. Dans cette même foulée, l’arrêté de 2013 fixant le Statut particulier des membres du personnel de la Police National d’Haïti pris par l’ancien Premier Ministre Laurent Salvador Lamothe réprime à l’article 11 la liberté syndicale.
« 2-Ils ne jouissent ni du droit de grève, ni du droit syndical et l’exercice d’activités politiques leur est interdit; »
« 3- La liberté d’aller et venir, de réunir, d’association de tout Fonctionnaire de la Police Nationale est limitée par les nécessités de la sécurité et du service. »

Position controversée des juristes

La plupart des juristes ne voient pas la question du même oeil. D’une part, certains évoquent la notion de la hiérarchie des normes de Kelsen pour soutenir que les dispositions de la Constitution et des conventions ratifiées doivent prévaloir sur les normes inférieures, à savoir les lois, les décrets-lois et arrêtés. Dans cette perspective, les règlements de la Police et l’arrêté de 2013 étant inférieurs, ils ne peuvent contredire les normes supérieures et ces dernières devraient s’appliquer. Pour ces juristes, il apparaît évident que le droit syndical des policiers est consacré sans équivoque et que les protestataires se retrouvent dans leur bon droit de le revendiquer. Là encore, Il faudrait l’arrêt du conseil constitutionnel pour casser les lois et règlements contraires à la Constitution. Jusqu’ici, la Cour n’étant pas installée, nous entrons dans ce que les juristes appellent « les formalités impossibles ».

D’autre part, d’autres ont un son de cloche différent faisant plutôt allusion au droit spécial, c’est-à-dire que la règle spéciale peut déroger à la règle générale dans ce cas. Alors les dispositions des règlements et de l’arrêté contraires à la Constitution seraient valables en vertu de ce principe. En outre, ils soutiennent que ces conventions ratifiées déjà citées reconnaissent à l’Etat la libre appréciation des restrictions et dérogations au droit syndical et comme déjà mentionné, spécialement pour les forces de police et les forces militaires :

Article 9 : 1. La mesure dans laquelle les garanties prévues par la présente convention s’appliqueront aux forces armées et à la police sera déterminée par la législation nationale….» [Convention de l’Organisation Internationale du Travail (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical de 1948.]

Article 1‭6‬ : Les dispositions du présent article n’empêchent pas l’imposition de restrictions légales, ni même l’interdiction de l’exercice du droit d’association, aux membres des forces armées et de la police.» [Convention interaméricaine des droits de l’homme / Pacte de San Jose]

Considérations

Au milieu de ces opinions partagées, il reste cependant une chose évidente : s’il est vrai que les conventions donnent à l’Etat la latitude d’apprécier le droit syndical et d’en poser les limites, la Constitution haïtienne garantit clairement le droit syndical, sans ambiguïté. De là, la liberté syndicale représente alors un droit fondamental de tout individu, un droit constitutionnel.

Toutefois, la liberté syndicale doit être réglementée par la loi. Le décret de 2005 le précise à la fin de son article 151 : « …dans les conditions prévues par la loi. » Les conventions internationales ratifiées laissent également une marge aux « législations nationales ». Il revient donc à l’autorité législative de garantir et réglementer cette liberté. Cependant, il convient de faire remarquer que jusqu’ici, nous n’avons aucune loi portant sur la liberté syndicale des fonctionnaires publics comme le souligne le décret.

Quid des policiers et leur mouvement

Quant aux policiers, ces derniers mènent des revendications justes, réclamant l’amélioration de leurs conditions de travail. Certains disent que le syndicat ne va pas forcément résoudre leurs problèmes, il ne serait pas malin d’en disconvenir. Ces policiers plaident pour un salaire décent, des avantages sociaux à la hauteur des risques auxquels ils sont exposés dans l’exercice de leurs fonctions et un environnement juste et qui donnera à tous la possibilité de gravir les échelons.

En revanche, on s’accorde à dire que ces revendications ne doivent en aucun cas prendre forme dans le chaos, dans un contexte de contestation de pouvoir ou de rébellion mais dans un cadre légal vu la sensibilité de la question de la syndicalisation et la nature de la Police, étant un corps armé. D’où la nécessité d’un processus juridique adéquat qui doit comporter une loi sur le droit syndical des fonctionnaires de la Police, la révision des règlements internes et du Statut Particulier de 2013 leur interdisant le syndicat.

In fine, il semble que le problème du syndicalisme des policiers ne réside pas tout à fait dans le carrefour où déterminer s’ils en ont le droit ou pas mais plutôt dans la manière de le réaliser. Certains expriment, on les comprendra, leurs réserves face au syndicat, craignant une éventuelle instrumentalisation de cet organe. La possibilité d’un syndicat au sein de la PNH dans les normes, dans un cadre légal, formel n’est pas à exclure pour autant. Un syndicat encadré par une loi qui fixe ses droits, son organisation, son fonctionnement et ses limites comme maintenir l’interdiction du droit de grève. Il serait de bon qu’une association puisse discuter des conditions de travail des policiers et des améliorations souhaitées. Il ne faudra pas laisser une certaine crainte entraver complètement les bonnes relations entre l’Etat et des policiers charriant des frustrations depuis des années. Un Etat se doit d’être à l’écoute des préoccupations de son bras armé.

Witensky Lauvince
Etudiant en Droit

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