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De l’échec du système éducatif haïtien

Temps de lecture : 6 minutes

Dernière mise à jour : 3 septembre 2019 à 17h45

Dans un discours à l’Assemblée législative française le 13 août 1793 Georges Jacques Danton cite: « Après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple. » Aujourd’hui encore, cette citation n’a pas perdu de son sens. Elle garde toute sa force, toute sa pertinence et peut servir pour cela de leitmotiv à un peuple désireux de connaitre le bien-être du moins la commodité.

Le pain. Si ce mot parait simple et courant dans la citation, il charrie toutefois un ensemble de réalités et d’exigences à ne pas sous-estimer. C’est avant tout la capacité d’un peuple de se sustenter, de répondre à ses besoins élémentaires notamment se vêtir, se nourrir, se loger. Abraham Maslow, un psychologue américain, l’a bien détaillé à travers sa pyramide des besoins.

Plus loin, on peut dire que le pain est le premier droit d’un peuple, le premier indice de son développement, et sa production le premier devoir d’une nation qui se veut souveraine puisqu’en matière de diplomatie et de politique on sait pertinemment que celui qui finance commande. Donc assurer la survie de son peuple c’est garantir sa liberté.

L’éducation, comme action d’élever, de former un enfant, un jeune homme, une jeune fille, de développer ses facultés intellectuelles et morales ou comme le résultat de cette action, est incontestablement le socle de tout peuple civilisé, de toute nation digne de ce nom. Puisque c’est à elle que revient la noble tâche de former, de façonner des hommes et des femmes capables de prendre en main le destin du pays.

C’est à elle de polir les vices, les tares, l’animalité de l’homme en lui insufflant cette aptitude à se transcender pour vivre libre dans une société pensée, en connaissant ses droits et ses devoirs sans empiéter sur les droits des autres et sans compromettre leur liberté.

Le romancier Benjamin Disraeli croit de ce fait que : “Le destin d’un pays dépend de l’éducation de son peuple » pour expliquer que l’éducation est un levier important dans l’évolution et développement d’un peuple, comme moule d’une société, qu’elle joue un rôle essentiel dans le développement économique du pays. C’est un vecteur essentiel de progrès. La base de tout vrai changement et de toute vraie réforme.

C’est un fait déjà prouvé, que l’un des facteurs explicatifs, importants des écarts de niveaux de vie entre les pays est la précocité historique des progrès éducatifs.

Les Etats-Unis, la Russie, l’Allemagne sont ce qu’ils sont parce qu’ils ont très tôt pensé leur système éducatif et ont aussi très tôt compris la nécessité d’éduquer leur peuple. Et non de les alphabétiser tout simplement, puisque plus que la capacité de lire et d’écrire l’éducation forme le cœur, et construit la mentalité du citoyen, elle crée le prototype d’homme voulu, capable de travailler et de lutter pour l’avenir de la nation, capable de servir le peuple et de défendre le pays, capable de créer, d’inventer, de produire de planifier, pour assurer l’autonomie de l’Etat vis-à-vis des autres pays.

Louis Bromfield dans son livre « Mrs Parkinston » (1944) avance: « L’éducation n’est pas le fait de l’école, mais bien de quelque vertu qu’on porte en soi » pour démontrer que l’éducation n’est pas le simple fait d’inculquer des connaissances à quelqu’un mais c’est aussi l’aider à accoucher, à développer des vertus inhérentes, des valeurs qu’il porte en soi comme l’avait fait Socrate dans l’antiquité. Mais pour soutenir aussi que l’éducation doit avoir une finalité, doit être planifiée, doit aider l’homme à se faire utile.

Et de-là, on est en droit de se demander qu’en est-il du pain en Haïti? Qu’en est-il de son système éducatif haïtien?

Pays le plus pauvre de l’Amérique, point n’est besoin d’épiloguer, de discourir sur son économie chancelante, ruinée et du coup de l’incapacité des gouvernements pour la plupart corrompus à répondre aux besoins du peuple livré à lui seul et qui trouve comme seul salut la migration.

Sans vouloir reprendre les propos scatologiques du président américain, le peuple haïtien végète dans la merde. Mais, à le dire, il faut préciser pour quiconque ne connait pas la réalité tacite du pays que c’est le bas peuple, la masse noire, les « pitit sòyèt » dans une société fortement compartimentée, déchirée et divisée.

Depuis 1804, année de l’indépendance d’Haïti, et bien avant cette date, dans la société esclavagiste, on savait que le noir d’Afrique, issu de souches inférieures n’avait pas les mêmes prérogatives que les mulâtres qui détenaient pour la plupart le pactole laissé par les colons français. Et que tout un ensemble de critères de différenciation était mis au point, la couleur de la peau, la généalogie, pour garder la masse noire dans ses limites.

Aujourd’hui encore, l’accession à cette classe, à cette élite exige tant, que seuls quelques intellectuels et politiciens noirs arrivent à frayer ce long chemin, loin de la masse, en utilisant pour certains, l’ascenseur de la servilité, du larbinisme, de la prostitution (femme et homme) et de la corruption.

Si le pain est le premier besoin d’un peuple, deux hypothèses peuvent être considérées: soit qu’on ne saurait parler de peuple haïtien, mais d’un simple agrégat, d’un radeau de la méduse; soit que ce besoin élémentaire n’est et n’a jamais été satisfait dans un pays où 95% des richesses est reparti entre 5 à 10 familles de mulâtres et de grands fonctionnaires étrangers, exemptés de tout.

Pour l’éducation. Chaque année, il y a environ 200 000 élèves finissants soit 144 760 en 2018 et une armada d’étudiants finissants des universités d’État, publiques et privées. Ce qui pouvait plus ou moins montrer l’importance accordée à l’éducation. La place de choix faite à l’éducation parmi les grandes priorités des gouvernements. Mais, faut-il toutefois se demander de quel type d’éducation il s’agit? Et quelle structure est mise en place pour intégrer les jeunes au système après leurs études?

À considérer le fonctionnement, les résultats, les conditions de transmission de savoirs, les mécanismes désuets de ce système boiteux, le comportement de ceux qu’on considère couramment comme intellectuels  en Haïti, l’on se demande : le peuple haïtien est-il alphabétisé ou éduqué ?

Edmondo de Amicis dans son livre « Grands cœurs » stipule: « L’éducation d’un peuple se juge d’après son maintient dans la rue. Où tu verras la grossièreté dans la rue, tu es sûr de trouver la grossièreté dans les maisons. »

Peut-être que s’il avait vécu en Haïti il aurait ajouté : ‘‘et là où tu verras la grossièreté dans les rues, tu es sûr de trouver la grossièreté au palais et au parlement’’.

Dans un pays où les dirigeants se font les champions de la comédie nationale, où la loi est sans cesse violée, où la constitution est sans cesse bafouée; s’il faut considérer cette citation, que les rues définissent en partie le niveau d’éducation d’un peuple, on en viendrait à donner raison à Donald Trump, et soutenir du coup qu’on a une éducation de merde en plus d’un pays de merde. Puisque nos rues, loin d’être le salon du peuple, sont des dépotoirs puants, des poubelles publiques, où chacun peut jeter ses déchets, manger, pisser et déféquer à loisir.

Que font les autorités concernées ?

Toujours comme seule réaction du gouvernement, de la propagande gratuite et ironique comme si le premier besoin du peuple était en vérité l’espoir et la promesse d’une vie meilleure. Le président s’érige en super héros, en un père noël qui répond par courtoisie aux besoins de la population : routes, électricité, logement. Alors que c’est du devoir du gouvernement  de fournir ces services en retour au peuple payant des taxes.

À entendre parler d’Haïti dans certains médias on aurait cru à Eldorado.

La manipulation des masses, la violence, le culte de la personnalité, la corruption restent les premiers et les seuls principes de conservation de pouvoirs au mépris de la justice sociale et de la paix.

C’est l’effondrement total des institutions dû à la persistance de la corruption, à la violation continue des lois et à l’impunité. Les signes sont patents pour ceux qui ont des yeux, le pays avance vers son déclin à grands pas. Sans un sursaut de conscience ce sera la défaillance totale.

Edward Gibbon dans son livre ‘Decline and fall of the Roman Empire’ avait peut-être vu juste en disant: ‘‘Corruption, the most infalible symptom of constitutional liberty’’

Dans l’éducation, aucune structure n’est mise en place pour l’intégration des jeunes, rescapés du système naufragé. La seule chose que l’État promet après une étude universitaire ou professionnelle est le chômage. Et pour compenser à ce manque, des divertissements malsains, des festivités à tout bout de champ, en véritables promoteurs de la merde.

Le président Jovenel Moïse l’a bien prouvé récemment en offrant une voiture à une mineure après son show de danse public frisant l’insolence et l’indécence.

À quoi bon d’être diplômés, licenciés, vous dit ainsi le système, si vous ne savez pas bouger vos reins ! À quoi bon étudier sans relâche si vous ne savez pas secouer vos fesses !

Les universitaires vomis par l’Etat, jettent désormais leur dévolu sur d’autres terres d’accueil où ils pourront au moins réaliser leur rêve de vivre comme des hommes dans le respect et dans la dignité. Cependant qu’il faut des millions de gourdes pour l’organisation du carnaval chaque année, pour flatter la mégalomanie des parlementaires, pour acheter le silence de certains et la liberté des autres. Aussi l’argent du PETRO CARIBE (ces mots à ne pas prononcer) estimé à 1 983 193 029.66 dollars américains selon le BMPAD, s’est dissipé sans explication et sans compte rendu.

C’est en Haïti! Tout est possible à celui qui vole! Après le pain l’éducation est le premier besoin d’un peuple. Mais qu’en est-il du peuple haïtien ?

 

© Elbeau Carlynx

Tel: 32-62-52-53

À propos Elbeau Carlynx

Elbeau Carlynx est né au Cap-Haïtien le 07 mars 1994. Il a fait des études en Histoire. Mention spéciale prix international chansons sans frontières en 2018. Prix international Centre-Troyes UNESCO en 2017. Prix international Léopold Sedar Senghor 2016. Mention spéciale prix International Poésie en liberté en 2015. Prix international poésie en liberté en 2012.
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