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« La mer confisquée » ou la grande cour revendiquée des puissances militaires

Temps de lecture : 3 minutes

En 1979, Gilles Chouraqui, spécialiste français des questions internationales et des affaires maritimes, publie aux éditions du Seuil un livre passionnant sur l’histoire, jalonnée de conflits, de l’utilisation des mers par les États depuis l’époque gréco-romaine jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle.

Il y montre, en analysant avec force détails, comment des pays, à la faveur des révolutions industrielles, se sont appropriés les mers, non seulement comme « voies de navigation » mais aussi — c’est là que le bât blesse — comme « sources de richesses exploitables », ce, par des décisions unilatérales portant atteinte au droit international coutumier, et toujours sous les regards inquiets des pays sous-développés.

« La mer confisquée – Un nouvel ordre océanique favorable aux riches ? », titre et sous-titre du livre, est cet essai dont nous nous proposons, dans les lignes suivantes, de vous faire un tour d’horizon.

Le livre est divisé en trois parties. La première, intitulée « Les origines du conflit » raconte, en effet, la genèse des premiers mouvements d’appropriation de la mer en vue de son exploration et son exploitation, des antécédents qui ont été à la base d’autres mouvements du même genre. Jusque-là, la mer était libre comme l’air.

« De la fin du XVIIe siècle à la seconde guerre mondiale, les mers ont connu un régime de liberté », écrit l’auteur. Cela signifiait qu’à l’exception d’eaux territoriales de largeur très limitée placées sous la souveraineté des États riverains, les océans n’appartenaient à personne et que tout navire pouvait y circuler et éventuellement y pêcher, explique-t-il.

Mais, par une déclaration unilatérale en 1945 d’Harry Truman, président américain d’alors, proclamant « les ressources du sous-sol et du lit de la mer du plateau continental recouvert par la haute mer, mais contigu à la côte des États-Unis, comme appartenant aux États-Unis et soumis à sa juridiction et son contrôle », un antécédent fut créé. Car avant le XVIIe siècle – époque où débuta le régime de la mer libre – aucun État, même parmi les puissances navales comme le Portugal, l’Espagne ou un peu plus tard l’Angleterre, n’avait jamais fait des revendications de cet ordre-là. Le conflit s’ouvrit donc.

En effet, à la suite de la proclamation Truman, 30 États, dont le Chili, le Pérou, le Salvador, revendiquèrent unilatéralement, entre 1945 et 1950, des droits comparables à ceux revendiqués par les États-Unis sur le plateau continental. Les États-Unis ainsi que d’autres puissances industrielles protestèrent et demandèrent que soit instauré un code de règles internationales fixant les usages de la mer par les États.

Ainsi, comme Chouraqui le raconte dans la deuxième partie du livre intitulée « L’affrontement », des conférences sous l’égide de l’Onu en 1958, 1960, 1964 ou en 1973, ont été les théâtres de négociations, d’affrontements rhétoriques entre pays industrialisés et pays en développement pour fixer un régime qui soit dans l’intérêt de tous et de chacun.

Entre temps, les décisions unilatérales se sont multipliées et des puissances industrielles, possédant de moyens financiers et technologiques, avaient sinon déjà commencé, du moins étaient sur le point de commencer l’exploration des fonds marins, à la recherche du pétrole et des gaz naturels, des nodules polymétalliques et, bien sûr, des milliers de tonnes d’animaux aquatiques de plusieurs espèces.

Bien que des concessions ont été faites entre pays sous-développés et pays industrialisés au cours des différentes négociations, le conflit resta encore ouvert sur différentes problématiques, notamment celle de savoir s’il fallait supprimer ou maintenir le régime de la liberté de circulation des navires dans les eaux « appropriées », liberté qui était indispensable aux puissances militaires et maritimes (États-Unis, URSS, Japon) pour lesquelles l’océan était un espace stratégique.

Enfin la troisième partie titrée « L’avenir » fait un résumé des évolutions déjà effectuées sur la question et propose des pistes de solution qui seraient conformes aux besoins et aux intérêts des différents protagonistes, à savoir les grandes puissances industrielles, les puissances moyennes et les pays sous-développés. Mais les conjectures de l’auteur quant à un nouvel ordre océanique favorable à tous les États, en particulier les pays sous-développés, sont restées pessimistes.

Samuel MESENE

À propos Samuel Mésène

Né en 1997, Samuel MÉSÈNE est passionné de littérature, de rap et de football. Écrire est pour lui l'une des façons d'exister.
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