Psychoéducation en Haïti : Entre utilité et nécessité

Temps de lecture : 4 minutes

Dernière mise à jour : 13 juillet 2018 à 9h31

Quand Le campus Henry Christophe de l’UEH à Limonade s’ouvre à la nouveauté.

La psychoéducation (1) est une discipline qui se spécialise en prévention et en intervention dans le domaine de l’inadaptation psychosociale principalement auprès des jeunes. Les psychoéducateurs interviennent auprès des mésadaptés sociaux, des personnes souffrant de graves maladies, dans les cas impliquant un rapport sujet-environnement, etc. Ils travaillent principalement en centre de la petite enfance, centre de réadaptation, centre de santé et de services sociaux, centre d’intervention en toxicomanie, centre hospitalier de soins de longue durée, centres hospitaliers généraux et psychiatriques, commissions scolaires, maisons de jeunes, organismes communautaires etc. L’action est plutôt centrée sur les besoins de la personne, il suffit donc de lui donner des outils pouvant répondre à une quelconque situation de déséquilibre social. Dans la logique psychoéducative, donner des outils nécessite de tenir compte de la réalité de la personne, c’est-à-dire son entourage, ses forces et faiblesses, ses schèmes relationnels, le PAD(2) et le PEX(3) de l’individu, etc. Donc la finalité de la psychoéducation pourrait être l’adaptation de l’individu ou la correction de l’inadaptation sociale en quelque sorte. Née en 1950 au Canada, enseignée à l’université en 1971, la psychoéducation apparaît pour la première fois en Haïti vers 2013, à l’UEH, plus précisément au Campus Henry Christophe de Limonade. D’ailleurs aucune autre université n’offre l’accès à cette faculté là en Haïti jusqu’à date. En quoi la psychoéducation peut être utile ou nécessaire au sein de la société haïtienne ? Comprendre la raison d’être de cette discipline en Haïti nécessite une connaissance de ses méthodes, son lien avec l’un des grands maux d’Haïti, la délinquance juvénile, aussi son avenir à l’Université d’État d’Haïti (UEH).

Les méthodes psychoéducatives

Le psychoéducateur intervient en tenant strictement compte d’un ensemble de paramètres psychoéducatifs, essentiels à l’aboutissement de la prise en charge. D’abord, les huit opérations professionnelles : L’observation, l’évaluation pré-intervention, la planification; l’organisation; l’animation; l’utilisation; l’évaluation post-intervention et la communication. Ensuite la structure d’ensemble ( La toupie de Gendreau ) qui contient : Le sujet, l’éducateur, groupe de pairs, parents et proches, l’objectif, le contenu, le système de responsabilité, les moyens de mise en interaction, le code et procédure, le temps, l’espace, le système d’évaluation et de reconnaissance et autres professionnels. ( Guindon, 1969; Gendreau, 1978; Gendreau, 2001 ) (4)

Le psychoéducateur agit principalement sur le maintenant de l’individu en tenant compte des opérations évoquées et aussi de tout le système d’interaction. L’intervention peut être donc qualifiée de systémique. Par exemple un adolescent qui n’arrive pas à gérer sa colère doit être aidé à trouver un moyen sain de s’exprimer autrement, en vue de canaliser cette colère là. Cette intervention implique le jeune et tout l’entourage, de manière à ce qu’il retrouve l’équilibre par rapport à ses ressources, habiletés, forces et faiblesses. À noter que le but est de redonner aussi l’autonomie à la personne, la résolution de ses problèmes ne doit pas dépendre éternellement de quelqu’un d’autre.

La psychoéducation contre l’un des grands maux d’Haïti

la délinquance juvénile

La psychoéducation est née dans ce contexte historique au Québec vers 1940. Deux religieux de la congrégation Sainte-Croix, Albert Roger et Maurice Lafond fondent un camp pouvant accueillir des jeunes considérés comme délinquants. Ce projet  débouchera sur le projet Boscoville, un projet dans lequel les jeunes apprennent à exercer de nobles responsabilités sociales. Ils sont pompiers, gendarmes, magistrats, etc. Un vrai centre découlera de cette démarche et fermera après vers 1997. On peut évoquer ici le processus de rééducation en quatre étapes ( Gendreau, 1964 ; Guidon, 1970 )(5) : L’acclimatation, le contrôle, la production et le changement de personnalité. Donc, l’État, pour lutter contre la délinquance en Haïti, peut utiliser cette discipline pour armer ses centres de rééducation. Il faut savoir que le danger est géant par rapport à ce fléau qui fait rage au cœur de la société haïtienne. Les adolescents délinquants d’aujourd’hui seront les adultes criminels de demain. ( M. Le Blanc, 1989 )(6)

Son avenir à l’Université d’État d’Haïti ( UEH )

Depuis 2013, le Campus Henry Christophe de l’Université d’État d’Haïti à Limonade forme des psychoéducateurs (trices) sous la responsabilité du recteur de l’UEH, du président du Campus et de la doyenne de la faculté, respectivement M. Fritz Deshommes; M.Audalbert Bien-Aimé et Mme Angela Vévé Docteur . Une première cohorte vient d’être graduée en 2018. Il y a eu des coupures des activités académiques au niveau du Campus, il faut le préciser. Il existe de nombreux signes positifs liés à l’avenir de la discipline en Haïti. Grâce à une coopération Haïti-Canada, des professeurs canadiens viennent de temps en temps en Haïti dans le but de renforcer la formation qu’on a. La présence de la canadienne, doctorante en psychoéducation Mélanie Poitras explique mieux cette démarche.  D’ailleurs un accord est déjà signé entre l’Université d’État d’Haïti ( UEH ) et l’Université du Québec à Trois-Rivières ( UQTR ), facilitant une mobilité étudiante, donnant accès aux cours et aux stages dans les deux universités.

En définitive, la psychoéducation s’inscrit dans une démarche humaniste, à la fois objective. Haïti doit donc profiter de ses rares méthodes pour non seulement lutter contre la délinquance mais aussi mieux aider les jeunes placés en centre de rééducation ou ailleurs. Donner une chance à ces jeunes haïtiens appelés couramment “va-nu-pieds ; délinquants ; ti vòlè ” peut passer par la psychoéducation. C’est toute une société qui doit lutter pour l’épanouissement de cette science, de la science en général. Ce sera aussi sans doute un signe de développement d’une nation qui doit se mettre debout. Le Campus Henry Christophe de l’UEH à Limonade a fait le premier pas et s’ouvre du coup au monde et au changement continu, un pas de géant pour Haïti.

 

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Notes et références

(1) psyced.umontreal.ca/ departement/quest-ce-que-lapsychoeducation/

(2) PAD :  Potentiel adaptatif (l’adaptation optimale de la personne)

(3) PEX : Potentiel expérientiel (son milieu de vie).

(4) Guindon, J. (1969). Le processus de rééducation du jeune délinquant par l’actualisation des forces du Moi, Centre de recherches en relations humaines, Montréal.

– Gendreau, G. (1978). L’intervention psycho-éducative, Fleurus, Paris.

– Gendreau, G. (2001). Jeunes en difficulté et intervention psychoéducative, Sciences et culture, Montréal.

(5) Guindon, J (1970), les étapes de la rééducation, Paris, Fleurus.

(6) M. Le Blanc et M. Fréchette(1989), Male criminal Activity, from chilhood through youth: Multilevel and developmental  perspectives, New York, Springer-Verlag.

Apollon Pascal

À propos Pascal Apollon

Je suis Pascal Apollon, écrivain, poète, slameur, critique littéraire, responsable de la communication et des relations publiques à la société du samedi soir, présentateur d’émission et psychoéducateur stagiaire à Foyer Lakay (Faculté de psychoéducation du Campus Henry Christophe de l'Université d’État d’Haïti à Limonade). J'ai trois livres publiés en Haïti et en France, entre 2016 et 2018: J’aurai peut-être dix-huit ans ; Tche wòb Valantin et Grog, ''l'isolement'' . Je vis au Nord, plus précisément entre le Cap-Haïtien et Limonade.
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