Paryaj Pam, entre espoir et pratique suicidaire

Temps de lecture : 3 minutes

Dernière mise à jour : 21 février 2024 à 20h01

Il n’est plus un secret qu’à côté des borlettes exposées dans tous les recoins du pays, considérées comme unique source de revenu pour la plupart de jeunes, il y a « paryaj pam » qui, depuis quelques temps, a pratiquement conquis les zones métropolitaines. Pour rappel, « paryaj pam » est une entreprise de jeu de hasard où l’on tire au sort des équipes gagnantes correspondant à des lots. Un jeu qui tue, à certains égards, le fanatisme car les pratiquants s’intéressent d’avantage à miser leur argent sur les cotes les plus rentables, leurs joueurs de prédilection ou les équipes jugées favorites.

Installé dans presque toutes les villes du pays, le décor des annexes de « paryaj pam » demeure similaire : une maisonnette équipée d’une télévision pour la diffusion des différents matchs, qu’il soit football, basketball, tennis, volley ball, hokey sur glace, handball… un ventilateur, des prises de courant pour que les clients puissent toujours garder leurs Smartphones bien rechargés, un coin réservé pour la recharge des comptes et un autre pour faire des fiches.

Chaque jour, une quantité indénombrable de gens, de jeunes en particulier s’y entassent. Certains, perdus dans l’écran de leurs Smartphones, assistent à l’évolution des rencontres sur lesquelles ils ont parié ou pour vite engager un pari après avoir renfloué leur compte. D’autres, devant les caissières, se bousculent pour faire des fiches.

« Paryaj pam » est devenu la substance des discussions et débats entre les jeunes. Plus rien ne semble les intéresser, voire l’école et l’université. À longueur de journée, on les rencontre se plaindre « monchè yon sèl ekip ki boule m wi », mais ils tiennent bon avec l’espoir qu’un jour la chance frappera à leur porte.

« On sait que la possibilité de gagner à Paryaj Pam est minime, surtout pour nous autres qui n’avons pas suffisamment d’argent pour miser gros sur une seule équipe. Nous sommes alors obligés d’en choisir plusieurs (ce qui rend la tâche encore plus difficile, puisque s’il arrive que l’une d’entre elles perd, on perd donc le tout). Nous n’avons vraiment pas d’autre choix car la situation socioéconomique du pays nous l’oblige.», confie Josué Pierre d’une voix alarmante.

La version d’Harold n’est pas trop différente sauf qu’on y sent un peu de colère « Paryaj Pam est une arnaque! Seuls des voleurs et des éhontés devraient le jouer », martèle-t-il. Pourtant, il avoue ne pas pouvoir le quitter et qu’il a maintes fois essayé, mais en vain. Payaj pam est comme une drogue. Une fois l’avoir goûté, on est devenu obsédé. Même quand la déroute serait constante, on s’efforce quand bien même de trouver l’argent. Parfois, on arrive jusqu’à frapper les portes des Bric-à-Brac pour obtenir de quoi donner vie à une autre fiche car on garde toujours en tête qu’on finira par remporter le lot un jour.

Roosbel, un jeune étudiant en Génie Civil a sa version: « Je ne sais pas vraiment quoi dire de paryaj pam, mais, jusqu’à cet instant, aucun autre jeu n’a jamais autant impacté la jeunesse haïtienne avec une telle intensité. Paryaj Pam a su pénétrer le moindre secteur : l’université, l’école, l’eglise, la vie des gens pauvres, celle des petits fonctionnaires, etc. C’est un fléau ! Sans l’ombre d’un doute, c’est un jeu de génie. Ce jeu est chronophage. Une fois le pari engagé, on se sent comme obligé de suivre la (les) rencontre (s) du début à la fin. Comme conséquence, les élèves s’intéressent de moins en moins à leurs activités scolaires. Certains étudiants deviennent moins performants. D’ailleurs, après avoir perdu un pari, on est affecté moralement et psychologiquement. Certes, on ne doit pas ignorer que, pour certains, jouer à Paryaj Pam est souvent une belle partie mais comparés au nombre de perdants par jour, l’écart est catastrophique. D’ailleurs, toutes les conditions sont déjà réunies pour que cela arrive. »

Les avis de beaucoup de jeunes se rejoignent, ils se plaignent du même sort. Néanmoins, Jean Mao, un jeune étudiant de la Faculté des Sciences Humaines (FASCH), nous rapporte que ce jeu a une portée positive très intéressante: « L’un des bons côtés de paryaj pam est qu’il donne vie à la fraternité, et du même coup, tue l’inégalité sociale, car tout le monde sans exception s’y adonne corps et âme, communique et partage des analyses portées sur la performance des équipes. Se voyant comme une proie face à la misère, on essaye tous de faire feu de tout bois afin de nous frayer d’autres alternatives pour survivre dans ce pays qui plonge au fond de l’abîme de jour en jour. »

Jusque-là, la preuve en est bien grande. La majeure partie des pratiquants de Paryaj Pam ne le jouent pas par amour, mais plutôt dans l’espoir de voir la vie leur sourire un jour. En dépit de leurs efforts, on les laisse deux mains tendues dans les rues. Alors, face à cette dérive, les autorités concernées n’ont-elles pas leurs mots à placer ? N’est-il pas de mise de penser à un système d’intégration des jeunes dans le marché du travail ? Loin d’interdire les jeux de hasard mais il serait de bon ton de limiter leurs effets sur la vie des Haïtiens. De toute façon, l’excès en tout ne nuit-il toujours pas ?

Marvens JEANTY

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