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Les parents haïtiens ont-ils toujours de l’influence sur le choix des conjoints de leurs enfants ?

Temps de lecture : 7 minutes

Dernière mise à jour : 6 avril 2020 à 12h13

Choisir un conjoint n’est plus chose facile. En fait, cela ne l’a jamais été et ne le sera peut-être jamais. Jadis, les parents pouvaient, soit canaliser, soit interdire une relation sans même avoir à s’expliquer. De nos jours, ils ne semblent plus faire le poids. Si au niveau « entèl renmen ak entèl » c’est compliqué, que dire du choix des conjoints ?

La société haïtienne était jadis ancrée dans cette grande institution qu’est la famille. On a pu constater qu’elle l’est moins de nos jours. Non que la famille n’ait plus sa place au rang des institutions phares (églises, écoles), non ! C’est plutôt une question d’autonomie des jeunes et la propagation des nouvelles idées via les réseaux sociaux.

Si ces nouvelles idées ont apparemment conduit à ce que certains conventionnels appelleraient la « dégradation puis la perte des valeurs haïtiennes », eh bien, la famille aurait également perdu de sa superbe. L’autorité des parents est constamment contestée. Ils sont de moins en moins sollicités comme conseillers sur les sujets intéressant les plus jeunes tels que les relations sentimentales.

Malgré tout, les questions demeurent : « Cette personne sera-t-elle un tremplin ou un boulet ? » « Sera-t-elle acceptée dans ma famille ? Sera-t-elle un bon père ou une bonne mère, un bon mari ou une bonne épouse ? » et tout le bazar qui vient avec … Cela doit être fait avec beaucoup de réflexion et à tête reposée. Les mariages arrangés, on les connait. Pas au même titre que la famille royale, ou les sociétés orientales, non ! Mais les entremetteurs (euses), nos familles haïtiennes en connaissent pas mal. Donc, il y aurait le choix personnel, consentant ; le choix imposé ; et le coup de pouce d’une bonne fée ! Quelle Affaire !

Nous sommes en 2020. Depuis quelques années, nous sommes témoins de l’émancipation extrême de ceux que l’on appelle les milléniaux et de celle excessive de la Génération Z. On peut se dire que l’institution du mariage en a pris un beau coup ! union libre, ménage à deux, à trois … « you name it ! » Si le mariage a toujours constitué l’exception par rapport aux institutions de fait comme le concubinage ou plaçage en Haïti, il a toujours (généralement en tout cas) été recommandé par les parents voulant que la société voit d’un bon oeil leurs enfants. Face à l’émergence de nouvelles idées, le rôle des parents s’est peut-être vu diminué.

Quid du droit

Dans le Décret du 8 octobre 1982, nous lisons:

« La majorité est fixée à 18 ans. À cet âge, on est capable de tous les actes de la vie civile. »(Article 16).

Art 139 du Code Civil haïtien:

Les fils ayant atteint l’âge de 18 ans et les filles celui de 18 ans, peuvent contracter mariage sans requérir le consentement de leurs ascendants.

Ainsi, au regard de la loi, tout jeune homme majeur et toute jeune fille majeure peut librement contracter mariage sans avoir besoin du consentement de leurs parents même si ces derniers peuvent faire opposition au mariage. Si le droit semble répondre clairement à la question, la réalité peut s’avérer différente surtout pour les enfants ne répondant aux attentes de leurs parents ou sortant des sentiers battus.

L’influence des parents dans les choix sortant des sentiers battus

Nous savons tous que c’est le rôle des parents d’éduquer leurs enfants et de leur prodiguer des conseils (bien qu’il y ait toujours des exceptions à la règle). Cependant, se demander si on peut affirmer de but en blanc que les parents influencent [encore] les choix matrimoniaux de leurs enfants, au 21e siècle ?

En général les parents vous diront de bien choisir : « Assure-toi que la personne soit d’une bonne famille. Assure-toi qu’elle ait de l’ambition, aussi t’aidera à évoluer, qu’elle te mettra au défi de te surpasser chaque jour… ». Ensuite, il y a le côté éducation… Combien de « générations de fourchette », cette personne a à son actif ? Comme dirait ma défunte Grand-mère. Quel genre de personne est-ce ? Qui sont ses amis ? Et le clou, « de quelle profondeur » sont ses poches ?

Ah oui ! Le statut économique du futur conjoint est très souvent l’objet d’inquiétude pour les parents. Pour les plus aisés, ils craignent que le conjoint ne soit pas du même rang qu’eux ; pour les moins fortunés, ils espèrent que le conjoint soit de meilleure condition qu’eux.

Cela veut-il dire que les enfants suivent toujours les préceptes de leurs parents concernant le choix du conjoint? Est-ce que cela voudrait dire qu’ils ont toujours l’approbation des parents ? Est-ce que cela veut dire que les enfants tiennent compte du point de vue de leurs parents ?

« J’ai choisi mon conjoint avant même de réfléchir à ce que mes parents penseraient ou diraient. Honnêtement, je ne peux dire qu’ils ont eu une influence sur mon choix. Cependant, je sais que des fois, on cherche des qualités de nos parents ou on évite de retrouver certains de leurs traits chez un conjoint…» Joe, 26 ans.

On ne peut ne pas parler des mariages de même sexe qui se font de plus en plus courants de nos jours, ce qui n’est pas encore accepté en Haïti. On pourrait également mentionner les Sapio pour qui le sexe n’est pas primordial, l’âme et l’intelligence étant le centre d’interêt de l’attraction sexuelle. Certaines familles se retrouvent en conflits parce que les parents et les enfants ne voient pas les choses de la même façon. Si dans les choix sortant des sentiers battus, l’autonomie peut paraître plus nette, la personnalité des parents est tout de même prise en compte. Cela renvoie à un concept : le conjoint image-miroir du parent.

Le conjoint image-miroir du parent

En psychologie, il est courant de croire que, d’une part, les enfants cherchent [inconsciemment] un partenaire qui leur rappellera leur mère (pour les hommes) ou leur père (pour les femmes). En d’autres termes : une jeune fille épouserait un homme qui serait le portrait de son papa ; un jeune homme épouserait une femme qui lui rappellerait sa maman. D’autre part, dans ce même ordre d’idée, le conjoint pourrait également leur permettre d’échapper à l’image qu’ils ont du père ou de la mère.

De ce point de vue, il y aurait quand même de l’influence même si cette dernière ne porterait pas forcément sur les constructions faites au niveau de la famille. Cette influence serait alors indirecte. Aussi, s’il existe un endroit où l’influence paraît beaucoup plus étanche, il s’agit évidemment du monde chrétien.

Le poids des parents chrétiens

Et si nous considérons les parents chrétiens, l’aspect religieux est très important, bien plus; même que l’aspect social ou économique compte aussi. Croire en Dieu ne suffit très souvent pas. Il faut que cette personne soit dévouée au service! En général, ils enseigneront dès la petite enfance que le conjoint devrait avoir la crainte de Dieu.

« Mes parents ont influencé mon choix de partenaire si on prend en considération la façon dont j’ai été élevée. Ils m’ont instruite selon la parole de Dieu et ont renforcé l’idée de choisir un compagnon qui aurait également la crainte de Dieu. Mes parents n’ont pas choisi pour moi mais ils ont développé une relation de confiance et d’appréciation avec mon partenaire. Ce qui a pour moi confirmé que j’avais fait le bon choix. » Lyne, 28 ans.

Il n’est pas non plus inconnu que les parents « protestants » prient pour que leurs enfants fassent un mariage chrétien authentique. Et, n’a-t-on pas déjà entendu : « Pitit, m ap priye pou Bondye fè w jwenn yon bon kretyen ! » ? On entendra aussi parler du poids des parents spirituels qu’on retrouvera généralement en la personne des pasteurs.

Le rôle indirect des pasteurs

Donc, d’une part, les parents restent « veyatif » sur qui leur progéniture amène à la maison ; et d’autre part, les pasteurs les mettent en garde, si vous êtes protestant bien sûr ! Trouver une Femme ou un Homme selon le cœur de Dieu passerait par le crible de deux passages de prédilection des bergers de troupeau concernant les conjoints : le Psaumes 15 pour les hommes et Proverbes 31 pour les femmes. La première chose qu’ils vous diront aussi en choisissant un partenaire : « Ne commencez pas une relation sentimentale si cette personne n’est pas de la même confession de foi que vous ! ». 2 Corinthiens 6 : 14. « N’allez pas avec ceux qui ne croient pas en Dieu, vous ne pourrez pas vivre ensemble » (Version PDV) semble être un des passages sur lequel la communauté évangélique se base.

Très souvent, la première question qu’ils vous poseront quand ils apprendront que vous êtes dans une relation est : « Eske entèl se kretyen ? » (Comprenez par-là quelqu’un qui confesse le salut en Jésus-Christ seul, par la grâce, par le moyen de la foi). Là on est clair que, d’une façon ou d’une autre, les pasteurs ont un rôle, quoiqu’indirect dans les choix des conjoints de leurs fidèles. Eeuuh !! … du moins ceux qui ont la crainte authentique de Dieu.

Qu’on le veuille ou non : les parents auront toujours une influence sur le choix du conjoint. Toutefois, cela ne veut pas dire que le mariage que font les enfants respecte toujours la volonté des parents.

Autres témoignages

Nous avons pris le soin de poser à d’autres personnes la question : « Penses-tu que tes parents ont eu une influence sur ton choix de conjoint ?

« Je pense que oui… Inconsciemment nous visualisons les défauts et les qualités, nos vécus familiaux pour déterminer la manière dont nous aimerions que notre conjoint soit… Parfois je regarde mon mari et je me dis, tel comportement me rappelle mon père », Amélie.

« Indirectement oui… j’ai grandi avec des idées en tête sur celui qui sera mon conjoint pour ne pas vivre les mêmes misères que ma mère », Carmelle.

« Pour moi oui. Ma relation avec mon mari ressemble en plusieurs points à celle de mes parents. Je cherchais un homme qui me soutiendrait autant que mon père l’a fait avec ma mère. Je sais également que les parents de mon mari ont influencé son choix me concernant», Anne, 36 ans.

« Je retrouve en ma fiancée beaucoup de traits de ma mère ; mais en ce qui concerne mon choix, je l’ai fait avec Dieu… », Mannu, 28 ans.

« Mes parents n’ont fait aucune pression sur moi quand je sortais avec celle qui est devenue ma femme. Ils nous ont élevés selon certains principes afin que nous évitions une relation dépourvue de maturité mais n’ont pas influencé ma décision. » James, 32 ans.

« Je peux dire que oui, ma mère surtout. Elle m’a toujours dit que me connaissant, allant à l’église et connaissant la parole, je ne peux choisir n’importe qui avec qui faire ma vie. » Danny, 24 ans.

Que l’influence parentale soit directe, qu’elle soit indirecte, au bout du compte le choix final n’appartient qu’aux concernés même s’il peut avoir opposition des parents en cas de mariage mais c’est une autre histoire.

Ramona Joëlle

N.B : les noms ont été modifiés afin de garder l’anonymat.

Remerciements à tous ceux et celles qui ont partagé leurs témoignages pour la réalisation de cet article. 

À propos Ramona Joëlle Adrien

Je m'appelle Ramona Joëlle Adrien, je suis Ergothérapeute travaillant surtout en Pédiatrie. Je suis une mordue des livres; passionnée des arts, de la musique et du volley-ball. Écrire est pour moi un moyen de m'echapper et m'isoler du monde ou de partager ce qui se passe au fond avec l'extérieur.
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