#PetroCaribeChallenge
Crédit Photo : Le Nouvelliste Haiti

Les nouveaux défis de PetroCaribe Challenge

Temps de lecture : 6 minutes

Dernière mise à jour : 3 juin 2023 à 10h39

La mobilisation de PetroCaribe Challenge a connu depuis le mois d’août 2018 une entrée fulgurante et historique dans le milieu politique haïtien. En effet, pour la première fois au pays un mouvement qui naquit sur les réseaux sociaux se morphe sur le bitume en des manifestations, protestations, sit-in et demande à la fois virtuellement et face-à-face une reddition de comptes à l’Etat haïtien. Les objectifs visés sont d’une grande et éclatante simplicité : un procès de la dilapidation des 1.8 milliards de dollars, le jugement et la condamnation des coupables, la restitution de l’argent usurpé. En d’autres termes : « Jwenn lajan PetwoKaribe a e mete tout vòlè yo anba kòd !» est le leitmotiv rassembleur. Cependant, dans le sillage des petites victoires de ce mouvement s’annoncent de futurs défis qu’il lui faudra surmonter pour arriver à ses buts. En toute modestie, je présente un point-de-vue indépendant du mouvement, lequel je supporte ardemment dans ses objectifs.

Maintenir l’innovation politique…

Les adeptes du mouvement PetroCaribe Challenge peuvent s’enorgueillir d’avoir créé du neuf dans le paysage politico-social haïtien. Du simple post du cinéaste Gilbert Mirambeau suivi d’une multitude de tweets, de commentaires et d’opinions a pris forme un réveil citoyen animé surtout par une jeune génération d’Haïtiens demandant à cor et à cri, parmi autres, la restitution d’un fonds qui aurait pu mettre la nation sur les rails du développement. Dans les rues de la capitale se sont regroupés des citoyens de toutes couches sociales, de tous niveau éducatifs, sans aucune affinité politicienne déclarée, qui comme un faisceau exige de l’état des explications sur les dépenses publiques quand tous les grands commis gouvernementaux présents et passés se déculpabilisent comme des vierges offensées.

Au-delà de l’enthousiasme des débuts euphoriques, le mouvement se doit de cultiver la patience et maintenir continuellement l’intérêt des internautes sur les réseaux sociaux tout en motivant les manifestants et protestataires dans les rues au fil des mois. Dans cette lutte dantesque, comme l’a souligné publiquement le réalisateur Richard Sénécal, une idéologie politique peut être un atout essentiel.

La nécessité d’une idéologie politique…

Ce mouvement est éminemment politique, car contrairement aux attaques et contestations anti-gouvernementales, il questionne en toute justesse l’essence même du système politique de notre pays où l’État cautionne la concussion du Trésor Public et consacre l’impunité en modus operandi. Cependant, pour renforcer sa cohésion, il serait approprié que ses dirigeants suivent une ligne idéologique, ni capitaliste ni socialiste, mais bien nationaliste dans la défense constante et solidaire des intérêts d’Haïti. Dans cette optique, le mouvement continuera à rassembler les citoyens de tous bords politiques, de toutes classes sociales, de toutes religions pour un meilleur avenir. Ainsi, il pourra éviter, comme il l’a fait dès sa naissance, de se rattacher à quelques politiciens ou un quelconque mouvement politique électoraliste et continuer à survivre en toute indépendance même de ses financiers et collaborateurs.

La nécessité d’être inclusif…

Toutefois, malgré son autonomie politique, le mouvement se doit d’être inclusif pour toutes les couches de la société, incluant nos politiciens traditionnels et membres des organisations civiles – « Tout moun ladan l ! » Le mouvement doit reconnaître que la lutte dans le dossier PetroCaribe a commencé bien avant sa naissance et des militants et politiciens ont contribué à son avancement.  Avoir conspué le politicien, M. Éric Jean-Baptiste, et soupçonné le défenseur des droits humains, M. Pierre Espérance, juste pour leur présence dans une manifestation du mouvement est inacceptable, bien qu’il soit juste de surveiller les infiltrations de tous bords et proscrire la récupération politicienne. Cela pourrait se simplifier si le mouvement avait des organisateurs connus, ce qui charrie cependant un côté problématique.

Des leaderships décentralisés connus ou anonymes…

Avoir des organisateurs déclarés aurait le mérite de mettre des visages sur le mouvement dans ses différentes branches, de recevoir des notes médiatiques, des mots d’ordre, des directives claires qui pourraient être authentifiées et de pouvoir mieux appréhender les nouvelles orientations. Cela permettrait également d’agir à l’unisson dans un leadership officiel, centralisé, national et international. Et j’en suis certain, les journalistes régaleraient le public d’interviews-fleuves de ces leaders. Mais prendre cette route, c’est également ouvrir une boîte de Pandore.

Pour arriver à un leadership il faut une méthode pour obtenir un consensus général et légitime, ce qui peut être un casse-tête. Il serait également risqué que les organisateurs s’identifient au grand jour car tous les dangers peuvent les guetter au quotidien, venant des ennemis naturels du mouvement. Une autre facette à considérer serait la responsabilité légale qui pourrait peser lourd dans la balance des poursuites judiciaires au moment des malencontreuses casses dans les manifestations, qu’il faut condamner et éviter pour continuer à promouvoir le pacifisme de cette lutte. Du côté opposé, l’anonymat du leadership complique le jeu des détracteurs du mouvement, garde les stratégies occultes à prédire et offre un peu plus de sécurité.  Je tends à croire que pour toutes ces raisons les organisateurs resteront anonymes – une décision qui est la leur.

Préciser les objectifs…

Au gré de la conjoncture politique et des possibles avancées et reculs dans le dossier PetroCaribe, le mouvement doit préciser ses objectifs et raffiner ses stratégies. J’ai été personnellement circonspect au début du mouvement quand j’ai entendu à tue-tête le fameux slogan : « Kote kòb PetwoCaribe a ? ». Je me suis dit instinctivement : « Mais nous savons tous où se trouve cet argent : Li nan bèl kay bò lanmè, nan envestisman tout kalte, nan bank peyi a ak letranje ! » Cependant, le slogan a pris toute une autre signification pour moi quand les demandes actuelles ont été formulées. Il m’est apparu évident qu’en plus d’un slogan populaire un travail de réflexions était établi.

Ces demandes sont dans l’ordre des choses possibles mais n’arriveront pas un beau matin. Cela prendra du temps, des efforts, des pressions et de la patience avant tout.  Il ne faut surtout point attendre la restitution des sommes monétaires pour envisager le développement du pays, mais continuer à surveiller la répartition du budget national, les dépenses publiques et l’utilisation des dons et prêts financiers internationaux qui se feront à l’avenir.

Le mouvement a eu le talent de susciter l’intérêt et de fournir l’enthousiasme qu’il faut pour lutter mais il ne doit pas devenir une caricature comme le font certains plaisantins pour évoquer le slogan à tout bout-de-champ sans saisir les vrais enjeux. Le mouvement doit se soucier de chaque étape du processus du dossier PetroCaribe, continuer à mettre la pression sur la Cour des Comptes, peut-être sur un juge en particulier, le Premier Ministre ou le Président quand cela s’avère nécessaire. Il pourrait également offrir un support public à un acteur ou actrice du dossier s’il pense qu’il ou elle le mérite. Cela aura le bénéfice de continuer à retenir l’attention des adeptes, des médias et de la population en général. Toutefois pour arriver à ces buts, il faut également un moyen de communication.

La nécessité d’une communication médiatique…

J’ai trouvé incongru que ce mouvement né sur les réseaux sociaux n’ait pas une page Facebook officielle, un site web ou un compte twitter, après mes recherches assidues. Peut-être cela est sciemment voulu ! Car l’identité des propriétaires peut se dévoiler en possédant de tels comptes. Je crois que les échanges sur les réseaux sociaux se sont faits entre des amis, des connaissances et l’idée est devenue « virale ». Cependant, il faudrait offrir au grand public démocratiquement la possibilité de débattre ouvertement de toutes stratégies, propositions, questions, et critiques du mouvement. Ce moyen de communication permettra d’avancer les idées, de sonder les opinions, de collecter des fonds, et même de mettre le cap sur d’autres luttes.

Préparer l’avenir…

Quand le mouvement PetroCaribe Challenge arrivera à ses fins et obtiendra la remise d’une partie des fonds subtilisés, comment seront-ils gérés et utilisés ?  Comment faire confiance aux mêmes rouages administratifs de l’Etat qui ont produit la débâcle initiale ?  Comment éviter les « dwèt long siperyè » étatiques de mettre la main au pot encore une fois ? Il est logique de penser qu’il faudra à défaut de changer tout le système étatique au moins le reformer, l’assainir. Le mouvement devra réfléchir à l’aide de conseillers et experts dans le domaine comment aborder cette situation à priori pour que cette fois-ci les fonds de l’état et de la population soient employés à bon escient.

Finalement, le mouvement PetroCaribe Challenge arrivé à l’apogée de sa lutte ne devrait se dissiper dans la nature tout bonnement car ce serait un gaspillage d’énergie, de conscientisation citoyenne et politique pour une nouvelle nation. En changeant d’appellation et d’objectif, les adeptes de ce mouvement pourraient se consacrer à d’autres luttes aussi valeureuses pour le pays que la sécurité des vies et des biens, la création massive d’emplois et la résorption du chômage, l’augmentation de la production agricole et le reboisement intensif, etc. Ce serait l’élaboration d’un contre-pouvoir sans partisanerie politique qui léguera, à cette terre qui est nôtre, un héritage aussi digne que celui de nos ancêtres.

Patrick André

À propos Patrick André

Je suis Patrick André, l’exemple vivant d’un paradoxe en pleine mutation. Je vis en dehors d’Haïti mais chaque nuit Haïti vit passionnément dans mes rêves. Je concilie souvent science et spiritualité, allie traditions et avant-gardisme, fusionne le terroir à sa diaspora, visionne un avenir prometteur sur les chiffons de notre histoire. Des études accomplies en biologie, psychologie et sciences de l’infirmerie, je flirte intellectuellement avec la politique, la sociologie et la philosophie mais réprouve les préjugés de l’élitisme intellectuel. Comme la chenille qui devient papillon, je m’applique à me métamorphoser en bloggeur, journaliste freelance et écrivain à temps partiel pour voleter sur tous les sujets qui me chatouillent.
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