Le poids de l’international dans les crises en Haïti

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Dernière mise à jour : 3 octobre 2019 à 15h43

Après des temps de silence, le président Jovenel Moise s’est enfin résolu à parler. Dans son discours, il réaffirme sa volonté de réaliser les promesses de campagne et fait appel aux forces vives de la Nation pour créer un gouvernement d’Union Nationale pour une sortie de crise. Un discours qui a revivifié les mouvements de protestations .En observant de plus près le tableau que nous offre la conjoncture actuelle, doit-on continuer avec le discours facile de tout mettre sur le dos du président de la République ?

Il ne s’agira pas de défendre Jovenel Moise tout comme Lescot, Sténio Vincent ou Boisrond Canal. L’actuel président n’est ni un magnat de la politique ni un investissement politique mais l’Histoire oblige à émettre des réserves sur l’individualisme de nos chefs d’Etats . Aussi, les misères que vit la société haïtienne paraît entrer dans une projet minutieusement élaboré à l’issue de la Guerre de l’Indépendance d’un côté, par la presse européenne d’alors, et de l’autre par les autres Etats esclavagistes qui ont vu leurs intérêts bruler avec les champs de cannes . Les indigènes n’ont pas seulement vaincu la France mais tout un système se reposant sur la chosification de l’homme par l’homme.

En examinant de près les composantes de la société haïtienne tout au long de l’histoire, il est possible d’arriver à une conclusion partielle ; nous avions connu trois moments de divisions. La première étant le massacre des autochtones et, en Afrique lors des razzias , la capture des noirs par d’autres noirs appartenant à la même région mais d’ethnies, de tribus ou de nations différentes . La deuxième est dans les pratiques existant dans la société coloniale: des mauvais traitements dus aux manques d’alimentations, aux cruautés des maitres utilisant les commandeurs noirs pour punir directement les esclaves et les dynamiser contre leur gré afin de faire marcher l’économie de la plantation dont ils étaient les bras travailleurs . Il faudra souligner que les commandeurs agissaient pour sauver leurs vies. L’histoire a ainsi rapporté qu’un colon fatigué de battre quelques esclaves intimait l’ordre à un commandeur de continuer la besogne . Malgré ce mur, les esclaves ont pu se mettre d’accord sur un point: la liberté générale sous le leadership de Toussaint, Dessalines, Christophe, Pétion pour aboutir à l’indépendance . À partir de là ,la pression internationale ,l’ambition de nos généraux assoiffés de pouvoir conduisent directement la majorité des anciens esclaves dans un marronnage interne contre le système établi , un néo-colonialisme avec des maitres noirs et jaunes. Ainsi, nous entrons dans le troisième moment de division.

Possible changement de système et le poids de l’international

Nous avons certes notre part de responsabilité dans les malheurs d’Haïti cependant lorsqu’on parle de changement de système, de quel système est-il question en réalité ?
Haïti a été l’un des pays de la terre ayant si vaillamment défié l’Ordre Mondial à une époque où les esprits étaient assujettis par l’esclavage . L’un des grands de la liberté ,les Etats Unis d’Amérique ont reconnu notre indépendance en 1864 alors qu’ils établissaient des relations commerciales avec la colonie au XVIIème siècle . Ils avaient même offert de la farine, des salaisons à la colonie de Saint Domingue alors que la France subissait un blocus maritime de l’Angleterre . Cette reconnaissance tardive à l’endroit d’Haiti s’explique pour des raisons politiques parce que le nouvel Etat allait à l’encontre de l’esclavage qui existait dans le Sud des Etats- Unis en 1804.

D’un autre côté, de 1825 à 1946 , les dirigeants haïtiens avaient contracté de manière forcée une dette et des emprunts pour payer notre indépendance à la France en 1825. D’un côté et de l’autre , il s’agissait de rembourser l’emprunt Domingue-Rameau et l’emprunt Borno. Cette crise de la dette a compromis au départ notre autonomie économique qui a grillé notre marge de développement pendant plus de 100 ans. En plus, on a connu plus de six (6) réclamations avec la diplomatie canonnière des ressortissants allemands, anglais et américains sans oublier le Programme d’ajustement structurel entamé à partir de 1982 qui a achevé une fois pour toute la production nationale ,le dynamisme du paysan haïtien pour nous plonger dans une dépendance chronique due à l’importation des produits de première nécessité que nous produisions jadis.

Pour l’Ordre Mondial, Haïti paraît un symbole qu’il faut à tout prix ternir .Certains soutiennent, non sans raison, que si les haïtiens prennent conscience d’eux-mêmes, ce sera la fin des activités des multinationaux dans les Caraïbes, le renouveau de l’Afrique et tous les peuples opprimés. Ce sera la remise en question du système capitalisme mondial .Le pays est un symbole de libération . Ce qui expliquerait pourquoi ,dès nos premiers pas, nos pseudo élites sous l’influence internationale nous ont plongés dans une dette qui tue notre économie . Aussi, avec le monopole de l’instruction cédé à l’église catholique particulièrement avec la venue des Frères de l’Instruction Chrétienne en 1860 , on nous a servi donné une éducation visant à nous garder soumis mentalement .Une orientation vers la France éternelle et indépassable a fait naitre en nous un bovarysme doublée d’un impérialisme linguistique contre la langue créole et la culture de la paysannerie d’où la majorité de la classe moyenne provient. Ce bovarysme passe normalement par un rejet systématique de l’Afrique et de ses vertus .

La presse internationale et actuellement les réseaux sociaux nous vend une Afrique de guerres, de maladies, de pauvreté et ce prouvé par des organes d’ajustement que sont les la Banque Mondiale et le FMI . En guise de réponse, nous nous focalisons sur les chefs d’Etats qui ne sont que des agents du système. Ils sont les seuls visages que nous combattons parce qu’ils nous ressemblent .La présidence de doublure se voit doublée à l’échelle internationale . Le président doit non seulement obéir aux élites économiques locales mais surtout trouver grâce aux yeux de l’international.

L’Ordre mondial ou la finance internationale arrive , avec une stratégie de choc , à nous faire accepter nos malheurs comme une volonté divine pendant qu’il exploite nos mines, participe subtilement à la privatisation des services publics tels que l’eau, les communications et les soins de santés .Seuls les fortunés seront sauvés .L’Ordre Mondial agit à travers les classes moyennes qui croient qu’ils sont différents et le clament sur les réseaux sociaux . Cette dernière trop réactionnaire, sensée d’orienter la lutte est absente dans la majorité des mouvements de revendications .

C’est encore la communauté internationale qui supportera les leaders baignant dans l’illégalité. Entre nous, que peut- on espérer réaliser avec un tel Parlement et un Pouvoir Judiciaire incapable de s’affranchir de l’éxecutif ? Il est question d’une société où l’impunité est reine, qui pis est, déchirée par un individualisme généralisant au nom du mode de vie américaine.

Alors, avec un peu de recul, Jovenel Moise ne serait-il prisonnier d’un pacte avec le diable ? 2010, Martelly miraculeusement propulsé au deuxième tour. Jovenel le succède après des élections contestées , puis non fiancées dans un second temps et miraculeusement cyclone, l’international revient à la table pour accoucher le résultat que voilà. Jovenel n’est ni plus ni moins qu’un agent du système, celui que l’on peut voir. Il pourrait tout aussi se transformer en Judas Iscariote par lequel la gloire du peuple haïtien doit renaitre . Tous les généraux de la guerre de l’indépendance ont été des soldats de l’armée française. Aussi, qui ne se souvient pas des revirements de Toussaint? Alors faudrait-il renverser monsieur Jovenel ou le remplacer par un autre? Ne sera-ce pas qu’un renouvellement ? L’histoire d’Haïti nous l’indique clairement .
Il nous faut autre chose, une autre solution capable de rallier véritablement les masses et peut-être une partie de l’élite. Ne vous méprenez pas: il ne sera pas inclusif . Sinon, on n’aura pas Leclerc dans la rade du Cap, mais une nouvelle Occupation Etrangère dans le sens le plus strict qui soit.

Richecarde Célestin

À propos Richecarde Celestin

Celestin Richecarde Juriste-Historien HumanRights Négritude Haïti
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