Rêver au-delà d’un match

Temps de lecture : 4 minutes

Dernière mise à jour : 5 juillet 2019 à 9h22

Il est presque 10h du matin, quand je me réveille, l’esprit encore un peu brumeux, résultat d’une longue et palpitante veille. A mi-chemin entre rêve brisé et amère réalité, je peine encore à me convaincre de la terrible désillusion qui a refroidi notre pays en entier. La rue ne présente pas une meilleure forme. Lessivées par les subites averses de la veille, toutes les artères de la capitale sont presqu’impraticables, jonglant entre vases nauséabondes et nuages de poussière. Dans ce bus cliquetant qui m’emmène au centre-ville, les regards sont hagards, ou vides, les teints mornes, les gens silencieux. Ils dorment pour la plupart, visiblement terrassés eux aussi par la récente nuit blanche. Les quelques conversations que je saisis au vol tournent autour du même sujet. La douleur est collective, réelle. C’est incroyable comment un coup de sifflet lancé à des kilomètres peut terrasser tout un peuple! La passion, il n’y a que ça de vrai en fin de compte. Et cette déconvenue a (encore) démontré tout ce dont nous sommes capables, lorsque nous sommes réellement UN. UN, nous l’avons été pendant le tournoi, et même après notre élimination. De quoi tirer quelques éléments positifs de cette aventure pour le futur.

D’abord, la réaction globale et solidaire de notre communauté (et même de certaines personnalités d’autres nations) s’est révélée exceptionnelle. Déjà plusieurs milliers de signatures d’une pétition pour un remaniement de ce tournoi. Ça ne changera pas l’issue du match, me direz-vous ! C’est vrai. Mais ça peut éviter que nous soyons victimes à l’avenir d’une semblable injustice (Dieu sait si nos cœurs fragiles le supporteraient). Imaginez des changements drastiques dans l’organisation de la Gold Cup, à commencer par la répartition suspecte des poules… Imaginez l’avènement de la VAR, des sanctions sévères envers les arbitres partiaux… Tout cela pourrait se réaliser suite à cette injustice dont nous avons été victimes, et surtout grâce à la détermination réelle dont nous devons faire preuve pour que de vraies suites soient engagées. Voilà une excellente occasion de jauger le travail de notre Fédération de football. Voilà aussi une opportunité de mener une autre révolution, sportive cette fois. Quel meilleur moyen de nous venger du « moneyway » ?

Ensuite, nous devrions nous réjouir de la jeunesse de notre effectif. Âgés de moins de 25 ans pour la plupart, ces excellents joueurs disposent de plusieurs années de bonne forme physique. Assez de temps pour s’améliorer du point de vue tactique, assez de temps pour se préparer en vue du prochain tournoi majeur (la Ligue des Nations par exemple), assez de temps pour réécrire l’histoire, assez de temps surtout pour nos entraîneurs, formateurs et recruteurs de préparer la relève. Parce que, oui, il faut déjà y penser. Moi, je dis que les prouesses de cette sélection doivent constituer un booster pour les jeunes talents qui se préparent. Que les matchs soient diffusés, revus, étudiés dans les écoles et académies de football ! Voir où les joueurs ont péché et en tirer des leçons, analyser les situations du terrain et déterminer les réactions ad hoc, embrasser leurs bonnes techniques, les peaufiner… Car il faut saisir cette occasion en or d’instaurer la stabilité dans le progrès (au moins dans le foot !). Que ce genre d’exploits s’installent dans notre quotidien, qu’ils ne soient plus des faits d’armes isolés, qui renforceraient notre constant statut d’outsider.

Moi, je ne veux rêver que le temps d’un match, et qu’au suivant la déception nous ramène au détestable « Ahh, se Ayiti… ». Cet effectif, probablement l’un des meilleurs que nous ayons eu depuis un bon moment, peut endosser cette honorable responsabilité de nous ramener de nouveau, et définitivement, sur le podium des meilleures équipes de la CONCACAF !

D’ailleurs, c’est sans doute le seul qui soit arrivé à réfréner notre amour pour les sélections étrangères, particulièrement le maillot jaune et le bleu du ciel. Si amour, il y en avait. Nous venons peut-être de réaliser que toute cette passion qu’on déferlait ailleurs n’était autre que l’expression d’un brûlant désir d’avoir nos propres idoles, comme on pourrait dire en créole « zafè pa nou ». Vous me demanderez de quoi je parle!

Eh bien ! Rappelez-vous donc, les anciens duels entre les deux ténors du ballon rond, quelle polémique, quelle euphorie cela créait dans le temps. Et ce mardi, qu’en était-il ? D’ailleurs, ce match semblait ne pas intéresser certains. Notre onze national avait véritablement monopolisé l’attention.

En plus, depuis quelques heures, des internautes ont lancé une campagne pour demander à la maison Henri Deschamps de n’imprimer que des images de nos joueurs sur la couverture des cahiers et aussi à l’entreprise BONGU de faire de même sur l’emballage des produits laitiers. N’est-ce pas encore un moyen d’étaler notre fierté, de nous identifier à ceux-là qui nous ont si valablement représentés ?

Ce mardi, j’ai été déçu du résultat, de l’arbitrage, de la nature qui semblait contre nous, mais aussi de notre approche du match. Nous conforter dans un jeu défensif dans l’attente d’une occasion de contre-attaque, était à mon avis une dépréciation de notre potentiel. A bien regarder, nos Grenadiers n’avaient rien à envier au Tri en terme de talent, et nous aurions pu jouer le tac au tac si nous l’avions choisi. Mais bon ! Laissons le passé à sa place et tournons la page, sans pour autant oublier la leçon qu’elle nous a apprise : le talent et la passion ne suffisent pas toujours à renverser la toute puissance de l’argent. Nous avons mal, il est vrai, mais il y a tant de bons éléments résultants de cette formidable aventure ! Mis à part les exploits réalisés en phase de poule et contre les prétentieux Canadiens, réjouissons-nous aussi des excellentes perspectives qui se profilent pour notre sélection nationale.

Joanico Casséus

À propos Joanico Casséus

Casséus Joanico est né à Port-au-Prince le 9 septembre 1996. Il a fait ses études primaires et secondaires chez les FIC. Il développe dès son jeune âge sa passion pour la lecture et l'écriture qui l'a poussé à participer à plusieurs concours de nouvelles. En 2014, il remporta le troisième prix du concours Fièvre Rouge. Casséus est un personnage affable et un grand communicateur qui jongle à présent avec ses études de Droit et l'écriture.
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