Haïti : revendications populaires et religion

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Ils sont plusieurs à travers l’histoire, des hommes d’église, des prêtres, des pasteurs à s’être convertis en révolutionnaires à côté de leurs confrères pour lutter pour la liberté, contre la domination des classes et la pauvreté et l’injustice. À ce propos, il convient de citer l’un des pionniers de la liberté en Haïti, Boukman Duty, l’un des plus populaires dans la lutte pour l’égalité des noirs, Martin Luther King et pourquoi pas, la promesse avortée de la démocratie, l’ex- président haïtien Jean Bertrand Aristide. Ce dernier a, en 1990, renoncé à son voeu de chasteté pour ( évidemment) (se) servir à la plus haute fonction étatique. Une fonction qui lui vaudra ( vous connaissez l’histoire!) deux fois l’exil. Ces hommes, malgré leur alliance avec Dieu, n’avaient pas écarté le fait qu’ils sont des citoyens comme tous ceux qui habitent comme eux ce bout de terre, qui disent-ils, leur a été donné par Dieu. Ce qui, toutefois, semble ne pas être un avis partagé par un bon nombre de religieux en Haïti.

Contexte

Depuis l’adoption du régime démocratique en 1987, Haïti n’a pas chômé en matière de crise. Elles sont de toutes sortes: sociales, économiques, politiques et surtout culturelles. Ainsi, les revendications n’ont pas cessé depuis. En périodes électorales, les candidats à défaut de programmes proposent des slogans, les uns plus intéressants que les autres. Comme toujours, ils accèdent au pouvoir sans la clé du changement qu’ils tenaient apparemment bien serrée durant les campagnes électorales. C’en est devenu la coutume depuis 1987. À chaque fois qu’un président échoue dans son programme, c’est toujours son gouvernement qui en paie le prix.

Cela n’a fait qu’augmenter la liste des dirigeants et soulever la colère du peuple haïtien. Car existe-t-il une catégorie d’Haïtiens pour qui les crises qui paralysent la société ne sont que l’affaire des païens, ou du moins, elles découlent de la volonté de Dieu. Disent-ils souvent: « se pase n’ap pase sou latè, lakay nou se nan syèl la bò kot Bondye ». Ainsi , avec ce genre de déclarations, les hommes et femmes d’église en Haïti ne se mêlent pas de la politique, ne revendiquent et ne contestent pas.

Essai d’explications

Si plusieurs sont sortis du rang pour tenter de dénoncer et se proposer dans les différents postes de décision, force est de constater qu’ils n’arrivent pas à drainer avec cette force capable d’enclencher le processus de changement. Souvent, ils sont mal inspirés n’arrivant pas s’unir ou faisant alliance avec des politiciens qu’ils auront pris plaisir à dénoncer du haut de leurs chaires. Du coup, ils tuent l’enthousiasme de leurs fidèles ou de leurs potentiels électeurs.

Aussi, un fidèle de l’église n’est pas forcément un acquis de son prêtre, pasteur ou un vodouisant ne partage pas systématiquement les opinions politiques de son hougan. À l’intérieur d’une église ou d’un wonfò, il existera plusieurs tendances politiques même si le principe sera de les taire tout simplement parce qu’il ne s’agit pas de l’endroit le mieux indiqué pour les exposer ou en parler.

Il faudra aussi remarquer qu’ils sont nombreux à profiter de l’électorat croyant pour accéder aux postes électifs. À chaque période électorale, ils viennent inlassablement le courtiser. Même après les élections, ils font tout pour rester dans les bonnes grâces des assemblées fortes. Si le désenchantement ne tardera pas à se faire sentir chez les croyants, c’est parce qu’ils ont souvent tendance à confondre l’arène politique à l’espace religieux. Les promesses que ces élus ou aspirants élus ont portées s’évaporent souvent dans la lutte acharnée pour se maintenir politiquement en vie. Une 9 réalité bien différente de celle de l’Eglise catholique toute puissante renversant les rois et partageant les terres de l’Afrique aux puissances colonialistes. Ce qui, à cet égard, est bien mieux. N’empêche qu’une implication beaucoup plus active des secteurs croyants apportera, à coup sûr, du neuf dans la quête constante du mieux-être.

Situation actuelle

Depuis le passage du séisme de 2010, la situation du pays ne fait qu’empirer tant sur le plan social qu’économique. En seulement deux ans, le taux d’inflation s’est élevé à 18%. Le taux de réussite des examens d’État devient de plus en plus catastrophique chaque année. Socialement, presque toute la population vit en autarcie, car les trois pouvoirs semblent joindre leurs mains à celles des gangs armés. Les revendications n’ont pas changé. La population pour une infirme partie, depuis maintenant un an ne cesse de fouler le macadam pour de multiples raisons: la restitution des fonds PetroCaribe, une somme qui aurait dû être dépensée pour le développement du pays, l’éradication de la corruption empêchant la poursuite de grands projets pour la population haïtienne particulièrement les jeunes, et changement du système – qui reste jusqu’à présent un projet illusoire devant commencer par la destitution du Président actuel et la fermeture du parlement.

Il convient alors à se demander qui sont les véritables concernés. La réponse devrait être : la population entière. C’est malheureusement loin d’être le cas. Il existe une bonne part de cette catégorie qui reste très passive aux revendications. Cette catégorie n’est autre que le secteur religieux qui,malgré les milliers pour ne pas dire des millions d’adeptes, ne manifeste aucun intérêt pour ce qui se passe dans la société haïtienne. Normalement, tout citoyen vivant en société, est politiquement impliqué volontairement ou pas.

Si dans les autres pays, le mal-être, ou simplement l’irrespect des droits fondamentaux sont contestés par tous les citoyens y compris les religieux, en Haïti, le silence ou le regarder-sans-voir est plus que normal. À ce qu’il parait, tout s’expliquerait par la volonté de Dieu. Ainsi, si les gens n’ont pas accès à la santé, à l’éducation, à l’emploi,ne remplissent pas leurs droits et devoirs civiques, il n’y a pas lieu de chercher trente-trois explications: c’est que ces derniers ne rentrent pas encore dans le plan de Dieu pour Haïti. Ce qui ne fera, par voie de conséquence, renforcer l’idée d’être à chaque fois un miraculé.

Ou sòti, ou rantre ? Se gras Bondye ! Ou pa lopital ? Se gras Bondye !

Face à cette situation, ils sont plusieurs, les hommes d’église à conseiller aux fidèles de prier plutôt que de se révolter alors qu’il est normal de rentrer en toute sécurité après une journée de travail. Il est normal de travailler. Il est normal qu’il y ait des hôpitaux partout répondant aux besoins de la population. Surtout, vivre décemment devrait être une normalité et non un miracle.

La détérioration du pays: omission ou consentement du secteur religieux

Après le séisme de 2010, à mesure que la situation du pays se dégrade, les édifices religieux se multiplient de façon exponentielle. À presque chaque kilomètre de la capitale, il y est établi un lieu de culte où des milliers de gens vont déposer leur fardeau. Il y en a de ces lieux où les messes ou services durent toute la semaine et ce sont quasiment les mêmes personnes qui s’y rendent pour les mêmes raisons: la cherté de la vie, pour demander vengeance ( violation de droits fondamentaux ), les visas pour quitter Haïti et autres. Plusieurs des hommes ou femmes qui tiennent ces lieux de cultes, au lieu d’être des guides pour leurs adeptes, se conduisent plutôt comme des pacificateurs qui les incitent à ne pas s’intéresser à ce qui passe autour d’eux ou aux choses matérielles. Ils ont une espérance céleste ! Cela n’empêche pas à ces derniers de mener une vie de luxe en voyageant, en envoyant leurs enfants poursuivre des études supérieures à l’autre bout du monde ( sou do ti pèp la comme les politiciens). Il paraît alors clair que la passivité des religieux haïtiens est un acte de consentement.

Ce qui semble conforter l’Etat. Tant de lieux de cultes pour mieux endormir les gouvernés. A défaut d’autorité, l’état se repose sur les lieux de culte pour garder le statu quo. Ainsi, tout sera perçu comme un miracle déresponsabilisant du même coup les autorités. La preuve ! Il est plus facile de construire un temple que de créer des emplois? Les questions pourraient continuer à l’infini : Pourquoi existe-t-il autant de personnes dans les cultes et si peu dans les rues dès qu’il est question de revendications populaires? Pourquoi les hommes d’église sont-ils incapables d’éclairer les gens sur leur rôle dans la société? Peut-être qu’une prise de conscience de la population lèverait le voile sur la grosse arnaque qu’ils vendent et ces hommes ne sachant rien faire- à part de demander avec un microphone- se retrouveraient démunis.

Cependant, une implication stricte des croyants provoquerait l’effondrement de l’Etat et serait un coup dur aux libertés fondamentales. Il est toujours question de maintenir un état laïc mais avec l’implication de tous les citoyens. À propos, pour aller vers cette laïcité, il est temps d’enlever le Te Deum et de cesser cette mascarade déclarant fériées les fêtes catholiques au détriment de grands jours historiques comme les 13 et 14 août. Cette implication ne viendra pas des autorités ni des religieux qui profitent de cet état de colonisation mentale pour assoeir leurs fortunes et privilèges, elle doit venir des illuminés religieux comme Boukman, Martin Luther King et de vous, jeunesse haïtienne…

Michelle Archille

À propos Dougenie Michelle Archille

Je suis Michelle Archille, je suis née à Port-au-Prince en 1997. Étudiante en Droit et Journaliste de formation, je me sers des mots pour dénoncer les maux du pays.
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