© Vikas Chandra

Confinement en Haïti : la prostitution va-t-elle diminuer?

Temps de lecture : 4 minutes

Dernière mise à jour : 3 septembre 2023 à 13h06

Interrogée sur la question, la coordonnatrice de l’organisation féministe Kay Fanm, Yolette Andrée Jeanty, affirme que sans des mesures d’accompagnement, il ne parait pas évident que la prostitution diminuera pendant le confinement.

En Haïti, la pauvreté touche principalement les femmes et les filles qui représentent plus de 50% de la population. D’où la féminisation de la pauvreté qui est due par le niveau d’éducation faible des femmes, leur précarité à l’emploi puisque ces dernières reçoivent des salaires inférieurs à ceux des hommes, travaillent plus dans le secteur informel, sans droit à la sécurité sociale (55,9%), et sont moins représentées dans les emplois formels (30%).

Ces facteurs-là expliquent l’entrée précoce et sans qualification des femmes/filles sur le marché du travail. C’est ce qui fait que beaucoup d’entre elles, sans d’autres options, se livrent à la prostitution.

Selon FOSREF cité dans un document paru en 2000, Il y aurait, dans le pays, environ 150.000 travailleuses du sexe formelles et informelles dont 80% ont entre 16 et 22 ans. A Saint-Marc, le taux de la prostitution au sein de la population féminine locale avoisinerait 20 à 30 % de plus selon cette même agence.

En 2020, Qu’en est-il exactement? La population a augmenté à peu près de 11 millions 500 mille habitants. Pourtant, le dernier recensement du pays (8 millions d’habitants) a été réalisé depuis 2003.

Suivant les données disponibles : « Plus de 6 millions d’haïtiens vivent en-dessous du seuil de la pauvreté avec moins de 2.41$ par jour, et plus 2.5 millions sont tombés en-dessous du seuil de la pauvreté extrême, ayant moins de 1.23 $ par jour ».

La prostitution va-t-elle diminuer ou augmenter?

Interrogée sur la question, la coordonnatrice de l’organisation féministe « Kay Fanm », Yolette Andrée Jeanty, affirme que sans des mesures d’accompagnement, il ne parait pas évident que la prostitution diminuera pendant le confinement. La coordonnatrice ajoute que « les femmes ne se prostituent pas par plaisir mais pour avoir ce qu’il faut pour leur survie quotidienne et celle de leurs familles ».

Dans la circulaire No.001 relative à l’exécution de l’arrêté du 19 mars 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire sur toute l’étendue du territoire, aucune mesure d’accompagnement n’est spécifique aux travailleuses de sexe. Pourtant, elles sont les premières touchées par les mesures préventives prises par les autorités étatiques telles que : le confinement, le couvre-feu. Les prostituées travaillent pratiquement la nuit et dans les rues.

La prostitution par les adultes n’est ni réglementée ni criminalisée en Haïti et les travailleuses de sexe n’ont aucune protection légale et sont sujettes à tous types et formes de violences dans l’exercice de leur métier non-valorisé par la société. C’est peut-être pourquoi dans le plan de la gestion de l’État contre le Covid-19, cette catégorie sociale n’en fait pas partie.

Prostitution confinée en lieu et place à la prostitution classique

La prostitution peut être bien à la baisse dans les rues et les bordels mais cela ne sous-entend pas qu’elle diminue. Elle prend d’autres formes : livraison à domicile (comme le chante le rappeur Wendy), livraison dans une chambre d’hôtel ou n’importe où à la discrétion du client. En outre, des jeunes filles, des femmes n’ayant de quoi à manger vont se lancer dans la prostitution occasionnelle suite au confinement (arrêt et/ou ralentissement des activités socioéconomiques).

« La population est invitée à limiter ses déplacements au strict besoin nécessaire », lit-on dans la circulaire sus-citée. Mme Yolette Andrée Jeanty rappelle que les prostituées – tout en étant conscientes du danger qui les guettent, ne voudront ou ne pourront pas être privées de revenus, durant une période prolongée ». Donc, dans l’obligation de subvenir à leurs besoins et ceux de leurs familles, et n’ayant pas été prises en compte dans les mesures d’accompagnement, elles sont contraintes d’adapter leur travail [de sexe] à la nouvelle réalité du confinement.

La coordonnatrice de Kay Fanm précise qu’à cause du couvre-feu (8h pm à 5h am) en vigueur, la présence de policiers semble être évidente aux coins de rues ou se pratique la prostitution afin de forcer les gens à rester chez eux.

Proposition de quelques mesures d’accompagnement 

Vu l’augmentation des violences intrafamiliales (conjugales) et la vulnérabilité socio-économique des filles/femmes, que peuvent faire les autorités étatiques compétentes et d’autres acteurs concernés pendant le confinement pour accompagner socio-financièrement les femmes/filles?

Avant la pandémie, l’économie haïtienne était boiteuse; maintenant, elle est en pause. Haïti est l’un des pays où la vulnérabilité socioéconomique frappe en grande majorité les femmes. 71% d’entre elles ne possèdent ni terre ni maison. Que dire des travailleuses de sexe?

Kay Fanm fixe sa position sur ce que devraient faire l’État et la société civile en proposant ses mesures d’accompagnement dans la gestion du Covid-19 : « L’intensification du travail d’engagement et de sensibilisation à travers tous les médias; des distributions de kits alimentaires peuvent se poursuivre régulièrement sur une base mensuelle, en fonction des besoins réels des familles et sans condition ».

En ce qui a trait aux possibles cas de violences à l’encontre des filles et des femmes, elle préconise : la disponibilité de numéros de téléphone d’urgence pour permettre aux femmes violentées ou à des membres de leurs familles de solliciter une aide urgente rapide, en cas de besoin; des dispensaires ambulants en conjonction avec des unités de police, des organisations de femmes offrant un accompagnement contre les violences basées sur le genre (VBG) puissent être connectés à ces numéros de téléphone pour inter-agir de manière célère.

Si jusqu’ici, les autorités font la sourde oreille, il est vraiment important de presser la sonnette d’alarme et de forcer le pouvoir en place à prendre les décisions qui s’imposent; sinon la crainte du pire (va) s’empire(r).

Aux problèmes que font face les filles et les femmes, c’est une règle presque sans exception que l’Etat haïtien se déresponsabilise. Rappelez-vous, lors d’un rassemblement de campagne en août 2015, de la réponse de Joseph Michel Martelly, président d’alors, à une femme protestant contre le pouvoir PHTK : « d’aller chercher un homme et d’aller dans les buissons ».

Jean Frantz TOUSSAINT

Références
https://haiti.unfpa.org/en/node/29291
Programme de Prise en charge des Travailleuses du Sexe: du modèle « Lakay » de FOSREF au secteur public de santé haïtien, Août 2004 (en ligne).
www.rgph-haiti.ht
https://www.banquemondiale.org/fr/country/haiti/overview

À propos Jean Frantz Toussaint

Jean Frantz TOUSSAINT a fait des études en linguistique appliquée à l'Université d'État d'Haïti. Il est Éducateur, Formateur en Développement personnel. L'écriture est sa passion.
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