COVID-19 : L’Etat haïtien, est-il sérieux ?

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Dernière mise à jour : 7 avril 2020 à 10h22

Qui peut se rappeler d’un jour où l’Etat haïtien était pour une fois sérieux? Etre un Etat sérieux ne veut pas dire pour autant les quelques petites bonnes décisions prises par-ci, par-là. Il faut un plan d’action. Jusqu’ici, nos représentants étatiques avancent à tâtonnements.

Malgré l’ampleur de la pandémie avec ses lourds impacts sur le monde, l’Etat haïtien n’arrive pas à agir comme il faut. Voyons quelques de ces décisions.

Matinée du 26 mars 2020, après une réunion des autorités sanitaires avec les membres de la communauté, le MSSP leur avait fait part de son intention de mettre en place un centre de prise en charge des personnes infectées par la maladie COVID-19 dans l’enceinte de l’hôpital communautaire de référence Raoul Pierre-Louis de la commune de Carrefour. Suite à l’annonce de cette décision, des habitants d’Arcachon 32 ont dressé des pneus enflammés tout près dudit hôpital en signe de protestation.

« Sa pa bon ditou ditou pou moun yo vin met yon sant kowona anba vant nou la paske lopital la tou kole ak kay nou. Anplis de sa, nou pa fè Leta sa konfyans pou senk kòb. Nou pa vle, nou pa vle »,
tels ont été les propos d’un habitant de la zone, sous couvert de l’anonymat.

Ceci témoigne clairement la légèreté du pouvoir central et des autorités locales. Pourtant mettre en service l’hôpital Simbi Continental, non loin de Fontamara, comme centre de prise en charge des personnes contaminées de COVID-19, aurait été une décision sage. On retrouve la même situation avec l’Hôpital de la Croix-des-Bouquets, construit depuis 2012 par la Turquie où herbes et animaux font leur quartier général.

Après l’annonce faite dans l’après-midi du 19 mars 2020 par le président Jovenel Moise des deux (2) premiers nouveaux cas de la maladie du nouveau coronavirus dans le pays et des mesures prises, les centres de l’ONI ont continué de fonctionner comme avant ; comme si leurs responsables n’ont pas été mis au courant par leurs supérieurs hiérarchiques de l’arrêté présidentiel qui fait état d’urgence sanitaire en Haïti.

La semaine qui suit l’annonce du président, de longues files d’attente, sans respecter le 1m 50 de distance ni l’interdiction de réunir plus de 10 personnes dans un même endroit, ont été constaté au centre de l’ONI au Champ-de-Mars. Dans les transports en commun, il n’y a aucun changement.

Parmi les mesures prises pour combattre le COVID-19, le couvre-feu, le confinement y figurent. A cause de l’insécurité (kidnapping), le black-out, la majorité de la population était déjà au couvre-feu.

Qu’en est-il du confinement, est-il possible en Haïti ?

Au sens strict du terme et dans le cadre de la maladie du nouveau coronavirus, le confinement consiste à maintenir une personne à la maison.

Vu la construction anarchique des bâtiments sans normes d’urbanisation, environnement non-protégé et non-assaini, infrastructures routières quasi inexistantes, bidonvilisations et surpopulation, l’insécurité alimentaire, manque d’éducation (effritement des valeurs sociales, analphabétisme, niveau de scolarité faible), comment va faire le pouvoir en place pour maintenir la population à la maison ? Le pays confiné a un prix.

D’après le sociologue Yves Pierre, tenant compte du pays-lock, dans cette situation d’urgence sanitaire, dépendamment de la volonté de l’Etat et de la société civile, le confinement est possible en Haïti mais doit être adapté à notre réalité démographique, socioéconomique. Car, pour lui, le confinement est le seul moyen permettant de réduire considérablement la propagation de cette maladie infectieuse et respiratoire. Posant les obstacles pouvant empêcher à l’Etat de mettre le pays en confinement, Yves Pierre énumère : « la méfiance de la population vis-à-vis des autorités, croyance religieuse du peuple haïtien liée à la magie, la misère, manque d’infrastructures, mauvaise gestion et organisation de l’environnement ».

Sans intervention d’un acteur externe, la gestion que font le gouvernement et les autorités sanitaires montre déjà qu’il y aura une flambée de contagions de la maladie sur le territoire national puisque le MSPP ne dispose pas assez de tests de dépistage et pas plus de 300 tests n’ont été réalisés et aucun campagne de sensibilisation de masse généralisé n’est opérationnel jusqu’ici sur tout le territoire national.

Pour que le confinement soit effectif, il ne suffit pas au Président haïtien de déclarer qu’Haïti est confinée mais il doit y avoir des mesures d’accompagnement. En quoi l’Etat peut-il être sérieux quand les mesures prises pour accompagner les familles dans la période du confinement se résume à : leur donner de l’argent via MonCash, avoir une liste des potentielles bénéficiaires, distributions de kits alimentaires attirant foule et attroupement?

Vendredi 03 avril. En pleine crise sanitaire, la PNH et la justice offrent à tous un spectacle de mauvais goût par l’arrestation de l’artiste Jean Jean Roosevelt et du directeur d’opinion Loucko Désir. Quel scandale de trop ! Dans cette situation difficile, ces deux arrestations n’auraient pas dû avoir lieu. C’est dans cette perspective que le sociologue suscité conseille à « L’Etat de mettre en place un plan de communication de crise réduisant la panique chez les haïtiens mais leur transmettant la peur de prendre la rue. Il faudra aussi encourager les élites du pays aider la population haïtienne durant le confinement ».

Malheureusement, les dirigeants se lancent dans une communication publique au rabais. « Le confinement, poursuit-il, est une nécessité de l’heure si l’Etat veut réellement protéger ses citoyens et citoyennes sinon il laissera le pays se confiner comme bon lui semble parce que l’histoire rapporte que l’Etat haïtien n’a jamais été au service du bien commun, de l’intérêt collectif». « Pèp la ak Leta se lèt ak sitwon ! »

Dans sa note du 23 mars 2020, Le MENFP compte activer la plateforme numérique pédagogique en vue d’accompagner les élèves « confinés chez eux ». Est-ce pour les élèves qui ont déjà ces dispositifs à domicile et dans leurs écoles? Encore serait-ce pour ceux qui n’ont même pas trois heures de temps d’électricité à domicile par semaine sans parler des matériels (ordinateurs, tablettes, …) non-disponibles à cet effet ? Même le MENFP est « conscient du fossé numérique en Haïti », croit aussi que cela « peut limiter l’impact de cette action », pourtant il reste « convaincu qu’on ne saurait négliger le numérique… ».

D’après vous, qui va prendre au sérieux une telle démarche sans voies et moyens?

Le MSPP, quant à lui, peut-il donner le ton quand jusqu’à date aucune structure sanitaire publique n’est ni disponible ni équipée pour recevoir les personnes contaminées ? Les fatras nous font tracas. En cas suspect, le numéro de téléphone mis en service pour appeler est injoignable.

Au lieu d’accompagner les familles les plus vulnérables dans la dignité et le respect des droits humains, l’Etat permet plutôt aux institutions financières (les banques) d’ouvrir leurs portes de huit heures du matin à midi. En plus de cela, monter un comité scientifique sceptique, à quelle fin ? Est-vraiment ces actes-là qui vont résoudre ce problème sanitaire?

La population haïtienne est « en mode entre panique et doute » puisqu’aucun signal clair n’a été donné par les autorités étatiques montrant qu’Haïti va sortir saine et sauve sinon la ministre de la santé publique Marie Gréta Roy Clément n’aurait pas déclaré : « Le moment est grave, des jours plus sombres nous attendent ».

Donc, la question reste pendante : L’Etat haïtien, est-il sérieux dans la gestion du COVID-19 ?

Jean Frantz TOUSSAINT

À propos Jean Frantz Toussaint

Jean Frantz TOUSSAINT a fait des études en linguistique appliquée à l'Université d'État d'Haïti. Il est Éducateur, Formateur en Développement personnel. L'écriture est sa passion.
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