Bienvenue chez moi

Temps de lecture : 3 minutes

Dernière mise à jour : 13 février 2019 à 9h53

Chez moi, l’espérance de vie est de 24 heures renouvelables. En tout cas, c’est ce qu’on répète souventes fois. La première fois que cette phrase était parvenue à mes oreilles, j’avais ri, sûrement de bon cœur. Cependant après maintes réflexions et observations , ce rire s’est transformé littéralement en tourmente. Ces derniers jours, tous les faits prouvent que ces dires ne faisaient pas que refléter l’humour haïtien mais une bien funeste réalité. Maintenant, on ne sait plus où se fixer. Les signes annonçant cette crise se montraient depuis quelques temps : rareté de l’électricité, hausse du dollar, les rumeurs concernant des jeunes tués par des policiers enflammant les réseaux sociaux, pour ne citer que ceux-là. Aucune anticipation de la part des gouvernants ! Ça aussi, c’est chez moi !

Depuis peu, dès que les bruits de manifestations se font entendre, les rues de la capitale se vident telles les poches d’un alcoolique à un bar. Cela commence toujours par la fumée des pneus enflammés qui s’occupe de noircir le ciel et continue toujours par le concert de la chorale des armes dans plusieurs quartiers.

Chez moi, c’est aussi l’endroit où le ridicule n’étonne plus personne! Là où le chacun-pour-soi devient normal pour certains et révoltant pour d’autres. Là où les pneus enflammés qui jonchent les rues ne font plus effet sur personne, la preuve? Soit on les traverse en héros, soit on prend des selfies autour. D’ailleurs, tous les moyens sont bons pour devenir célèbre ici.

Bienvenue chez moi! Là où lorsque le pays est en crise nous pouvons définir plusieurs catégories de personnes en fonction de leurs réactions. Tout d’abord, nous avons ceux qui sont toujours prêts à brûler, piller, détruire tout ce qui peut l’être sur leur passage. On les appelle avec mépris « mas pèp la », « fristre yo », « sovaj yo ». Ceux qui bloquent le pays et empêchent toute activité. Comme on dit ces jours-ci, « moun k ap lòk peyi a ». Ceux dont on a peur. Ceux qui deviennent de plus en plus violents lorsqu’on reste indifférent à leurs nombreux cris. Ceux qui portent sur leurs épaules les résultats des dépenses superflues de l’état.

Ensuite, on retrouve ceux qui veulent se démarquer des sauvages parce qu’eux, ils ont un toit décent dans une zone plus où moins paisible et deux repas ou plus par jour. Ils peuvent fréquenter les restaurants et les magasins huppés de la capitale. Mieux encore, ils ont peut-être un visa et peuvent faire une à deux visites par an chez l’oncle Sam. Ceux qui sont toujours pressés de retourner au travail, à l’université, à leurs affaires lorsque le pays fait face à ce genre de crises. Ils sont beaucoup trop importants et raffinés pour participer activement avec les sauvages. Ils préfèrent suivre l’évolution des choses sur les réseaux sociaux ou y faire toutes sortes de débats {dans un franglish ahurissant leur octroyant l’étiquette d’une pseudo-bourgeoisie ou d’une pseudo classe moyenne } qui ne mèneront le pays nulle part.

Pour finir, nous avons nos chers dirigeants, ceux qui portent tous les chapeaux, les responsables de nos maux. On les nomme « kòwonpi yo » « vòlè yo » « san konsyans yo » pour ne citer que ces titres-là. Ils font la sourde oreille aux revendications du peuple. Ils ne lâcheront vraisemblablement pas prise. D’ailleurs, ils ont le support de la communauté internationale. Ils sont les seuls à croire en leurs promesses sans même remarquer qu’ils ne font qu’énerver de plus en plus ceux qui le sont déjà.

Jusqu’à quand allons-nous continuer ainsi ? Combien de temps pourrons-nous tenir ? Chacun dans sa bulle, chacun pour soi! Chez moi, c’est ainsi: tant que mes affaires marchent comme je le veux, tout le pays peut s’effondrer cela ne me concerne pas. Ou tant que je peux manger, la faim de la majorité ne me concerne pas. Tant qu’on n’entendra pas ma voix je n’arrêterai pas de brûler, de piller, de détruire tout ce que je peux sans réfléchir aux conséquences { de toute façon, elles seront toujours les mêmes pour moi}. Tant que mes poches se remplissent, que j’ai mes avantages sociaux et économiques, ce qui se passe chez le peuple ne me concerne pas. Dans cette logique, il est alors peu évident de tenir 24 heures. Chez moi, nous avons de la veine…

Bienvenue chez moi !

Justine Isaac

À propos Justine ISAAC

Étudiante en sciences juridiques à l'Université Quisqueya. Je suis une Cayenne passionnée de l'écriture et de la lecture.
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