[L’apocalypse à nos portes] Aujourd’hui des larmes en Australie, qui sera le suivant? 

Temps de lecture : 5 minutes

Dernière mise à jour : 8 janvier 2020 à 17h38

L’Australie, c’est le nouveau théâtre des « mégafeux » de forêts. Après les 900.000 hectares de l’Amazonie partis en feux, la planète pleure plus de 8 millions d’hectares, soit une surface équivalente à trois fois celle d’Haïti. Les dernières images sont on ne peut plus accablantes. Des kangourous totalement paniqués au milieu des flammes. Des koalas assoiffés buvant de l’eau dans des bouteilles tenues par des pompiers. Une scène apocalyptique. C’est l’horreur !

Déjà, le bilan est lourd. Plus de 24 personnes ont été tuées, des dizaines d’autres sont portées disparues, et plus de 100.000 évacuées. Sans surprise, la vie sauvage australienne est au cœur des victimes de ce fléau. Selon une étude de l’Université de Sydney, depuis septembre 2019, 480 millions d’animaux (mammifères, oiseaux et reptiles) pourraient avoir péri, hormis les insectes, les chauves-souris et les grenouilles. Ce n’est pas encore fini! Cela peut s’étendre sur « des mois ». Des milliers d’espèces, déjà en voie de disparition sont parties en fumée. Selon l’écologiste Mark Graham, le retour à la normale pourrait prendre jusqu’à 40 ans (cité dans Le Figaro, 2020, 3 janvier). Faut-il encore accuser l’homme ?

Si la police locale pointe du doigt des pyromanes qui auraient aussi allumé certains foyers d’incendie, la rapide propagation du feu est due à des conditions climatiques extrêmes. Comme d’habitude, les feux de brousses sont fréquents dans cette saison sur l’île-continent. Par contre, l’ampleur qu’il prend cette année est historique et inédite.

Avec une sécheresse précoce, une température dépassant les 40 degrés Celsius, des vents violents, on ne pouvait s’attendre qu’au pire. Selon le climatologue Hervé Le Treut, c’est la faute du réchauffement climatique. Avec ses industries de charbon, l’Australie est une grande émettrice de gaz à effet de serre (GES). Et, comme climato-sceptique, le premier ministre Scott Morisson tarde à mettre le pays sur la voie de la transition énergétique.

L’Australie, un simple cas parmi tant d’autres

Suivant les données relevées par Global Carbon Atlas (2018), l’Australie est le 16e pays ayant émis le plus de dioxyde de carbone (CO2) dans le monde, dans un classement dominé par la Chine, les États-Unis et l’Inde. L’île n’émet pas moins de 420 milliards de tonnes de CO2 par an. Sur cette lancée, elle est l’un des plus mauvais élèves, puisque les chiffres ne cessent d’augmenter durant ces dernières années. Ce qui est sûr, aucune action criminelle sur l’environnement ne va rester sans punition. Vous semez les GES, le déboisement, l’exploitation minière à outrance, vous moissonnerez les phénomènes climatiques extrêmes. Le pire, même les spectateurs ne sont pas épargnés ; il faut en ce sens parler des pays qui ont très peu d’impact sur le climat, mais qui sont les plus exposés à ces phénomènes.

Le cas haïtien est un grand exemple. Le pays « fait partie du groupe de pays dont les émissions de gaz à effet de serre sont faibles voire insignifiantes », se vante le Ministère de l’Environnement. Haïti émet à peine 3 milliards de tonnes de CO2 (Global Carbon Atlas, 2018). Pourtant, malgré ce faible score, Haïti est placée au 16e rang des pays les plus exposés aux risques environnementaux dans le monde, loin devant la Chine (98e) et les États-Unis (133e), respectivement premier et deuxième plus grand émetteur de GES (World Risk Index, 2019). Ce grand risque qui plane sur Haïti est dû non seulement à sa situation de pauvreté, mais surtout, sa situation par rapport à la trajectoire des cyclones.

L’inaction, malgré l’urgence

Ceci montre que personne n’est à l’abri. De l’Amazonie à l’Australie, en passant par Haïti et la République Démocratique du Congo, il y a urgence climatique. Malgré l’urgence, « les États ne tiennent pas les objectifs qu’ils se sont fixés en matière de transition écologique » regrette Green Peace. Plusieurs rapports publiés récemment indiquent une hausse mondiale des émissions néfastes pour le climat (Giec, 2018 ; Rhodium Group, 2019). Dirigés pour la plupart par des climato-sceptiques, les grands pollueurs sont têtus. Mais, comment encore prétendre être climato-sceptique à bord de ces scènes qui se répètent maintenant à outrance ? Sur cette question, le philosophe Dominique Bourg est clair : « Quand vous avez le couteau sous la gorge, vous n’êtes pas couteau-sceptique ».

Pourtant, les « maîtres du monde » le sont bien. Nombreux d’entre eux font partie de ceux qui remettent en question la cause anthropique dans le réchauffement climatique. Le président américain Donald Trump, qui clame à plusieurs reprises que le réchauffement climatique est un mythe, est aujourd’hui l’un des grands défenseurs du climato-scepticisme. Il soutient la théorie selon laquelle « le concept de réchauffement climatique a été créé par et pour les Chinois pour rendre l’industrie américaine non compétitive ». De plus, il a fait sortir son pays des Accords de Paris en 2017, des accords ayant pour objectif de « limiter le réchauffement climatique à 2°C par rapport à l’ère préindustrielle ».

Ce n’est pas encore la fin

Depuis les mégafeux des forêts pluviales d’Amazonie en 2019, les inquiétudes se traduisaient par des phrases comme « Le poumon de la planète est en feu. » ; « Notre maison brûle ! ». Certains ont même évoqué l’idée de la fin du monde. Ces extrapolations ont entraîné le développement et l’expansion d’une solastalgie aigüe, c’est-à-dire une forme d’éco-anxiété. Nous avons peur de notre anéantissement, qui, selon nous, est lié à l’écologie, du moins à la survie des forêts.

Le philosophe Slavoj Žižek nous encourage à éviter ce genre d’extrapolations fascinantes pour nos imaginaires, si nous voulons affronter les menaces qui pèsent sur notre environnement. Dans une tribune parue dans les colonnes de Nouvel Obs. intitulée « L’Amazonie brûle. Et alors ? », le philosophe marxiste Žižek plaide plutôt à être pleinement conscient du caractère incertain des analyses et projections réalisées sur la relation entre l’apocalypse et l’écologie. Il s’appuie en partie sur les incertitudes qui pèsent sur le monde marin, sur les forêts et d’autres milieux jusqu’alors inconnus du fond des océans. Sans ignorer les risques auxquels nous nous sommes exposés, Žižek signale que cette écologie de la peur se présente comme « un nouvel opium pour les masses venant remplacer la religion déclinante ». Pour lui, il est venu le temps de passer à l’action.

Pour agir, de nouvelles pratiques, d’autres comportements dits écologiques sont adoptés par les citoyens. Utilisation du vélo, covoiturage, recyclage des vieux papiers, consommation des aliments organiques, non-utilisation des objets plastique… Même si à première vue, on peut trouver ces petits « gestes écolos » pertinents, Žižek les compare à l’action du supporteur, qui hurle devant sa télé et rebondit sur son canapé à chaque action, dans la croyance superstitieuse que ces gestes influeront sur le score final. À quoi bon effectuer les petits gestes écolos si les États multiplient leurs émissions ? Sur ce point, le philosophe est plutôt pessimiste.

Néanmoins, le sociologue et philosophe Edgar Morin propose d’écologiser l’homme, qui doit passer par la transformation de nos vies et de nos modes d’organisation. Parallèlement, l’application des recommandations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) pourrait aider à reculer l’apocalypse climatique. Pour rappel, dans son rapport, le Giec a appelé à réduire drastiquement la demande en énergie des bâtiments, de l’industrie et des transports. Nous ne pouvons qu’espérer, puisque concrètement, comme nous l’avons montré tout le long de cet article, les États font tout le contraire si bien que tous les regards sont actuellement tournés en Iran. Sur une telle lancée, si l’apocalypse n’est pas pour demain, elle n’est peut-être pas loin.

Micky-Love MOCOMBE 

À propos Micky-Love Myrtho Mocombe

Je suis étudiant en master sociologie à l’Université Paris-Saclay. Je suis blogueur, rédacteur à Balistrad.
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